L’installation est arrangée d’une façon qui rappelle les ateliers de dessin de modèle vivant. Dans cette activité, l’objet d’attention est souvent un corps nu se tenant au centre, entouré d’autres. Le corps est exposé et surélevé pour être étudié et observé, voire disséqué.
Le corps nu diffère du corps dénudé. Le corps se ressent comme dénudé en raison de l’absence de vêtements, certes, mais surtout de la présence d’un spectateur qui regarde ce corps en état de dénudement. Le nu est la perception de ce corps dénudé, et exige du spectateur de le voir comme un objet, «plus précisément un objet de vision, un spectacle» [7]. Lorsque dénudé, le corps s’offre en performance et séduit afin de satisfaire le regard du spectateur sans jamais le questionner [8]. Pour le spectateur, le corps devient un nu; celui-ci comprend alors que son apparence influence son traitement, et apprend à s’évaluer et à s’ajuster pour protéger sa nudité.
Dans ce contexte, regardeur·euse et regardé·e se confondent dans la substitution du papier canevas par des miroirs, demeurant tourné·e·s vers l’intérieur de manière à renvoyer directement le regard des observateur·trice·s. La subversion des attentes provoque un sentiment de surprise et d’impréparation – le premier instant de dénudement – tandis que l’on ressent la présence des autres regards. Tous les portraits qui en résultent peuvent ainsi être considérés comme des nus. Le soi a été voilé à la fois par le regard qui l’a transformé et par sa volonté de se transformer pour ce même regard.
L’effet est d’autant amplifié lorsque l’on considère une autre structure qu’évoque la forme de l’installation: le panoptique [9]. Le principe de surveillance du panoptique requiert deux éléments: une figure de surveillance centrale ainsi que des sujets surveillés – le «gardien» et les «prisonniers». Traditionnellement, le gardien demeure invisible et peut observer chacun des sujets surveillés en même temps à partir du centre. En s’inspirant de ce cadre, on peut extrapoler l’identité des «prisonniers», du «gardien » et de la «structure» elle-même au panoptique de Grebmeier Forget; ici, ils sont la société et son regard inquisiteur sur l’autoreprésentation. Un·e participant·e qui regarde dans le miroir a douloureusement conscience de soi-même et de toutes les autres personnes présentes dans la salle. On ne surprend le regard de l’autre qu’en regardant l’autre soi-même, de là l’impulsion qui pousse à surveiller, à protéger ou à contrôler l’image de soi. Finalement, une fois le regard inquisiteur internalisé par chacune des personnes dans la salle, le besoin d’une réelle figure de surveillance disparaît – chacun peut exercer soi-même ce regard inquisiteur et ainsi automatiser le processus de correction sociétale.
Voilà peut-être pourquoi l’artiste aspirait à faire de nous des filtres analogues teintés de rose: afin d’intercepter nos yeux pour qu’ils voient différemment, de nous débarrasser de la rigidité et des limites de la représentation valide. Ultimement, le maquillage est un pigment, un outil qui façonne le visage et le corps dans une forme nouvelle et différente. Il propose aux personnes qui le portent de nouvelles façons d’exister, les invite à traverser la frontière entre le soi et le non-soi (au sein d’un non-espace sûr) afin de vivre une expérience extra-corporelle. Ce processus peut être constructif pour l’ego; grâce à la fragmentation du soi, le corps peut comprendre ce qui fait ou ne fait pas partie de lui ainsi que ce qu’il peut devenir. C’est une occasion d’être plus vrai, lorsque ce que voient les autres de l’extérieur ne reflète pas ce qui est ressenti à l’intérieur. Le miroir n’est jamais qu’un miroir. Dans l’installation de Grebmeier Forget, les miroirs sont des fenêtres et des canevas. Les participant·e·s sont aussi des canevas, s’observant l’un·e et l’autre tout en apprenant à se modeler.