Ces questions résonnent tout particulièrement dans les édifices qui accueillent les œuvres de Bae pour les prochains mois; édifices qui, avant d’être des espaces d’exposition de la Fondation PHI, ont abrité tour à tour des compagnies d’assurance et de télécommunications, ou encore une école d’animation. Elles se posent aussi dans le Vieux-Montréal, quartier historique dans lequel est située la Fondation. En même temps qu’il fait voir une certaine histoire, le Vieux-Montréal est aussi un lieu d’absence: si certains bâtiments ont été préservés, d’autres disparaissent sans laisser de trace. Par exemple, tout juste à côté du 465, rue Saint-Jean siégeait le Pigeon Hole, un parc de stationnement automatisé multiétages construit en 1956 et dans lequel les voitures étaient transportées sur des ascenseurs hydrauliques. Le bâtiment, tombé en désuétude, a été rasé au tournant des années 2000. Il ne subsiste aucune trace de cette occupation, et le terrain a été transformé en espace vert.
Cette observation montre les limites de la sauvegarde du patrimoine tel qu’il est mis en pratique par les instances gouvernementales, qui auront parfois tendance à écarter ou à occulter certaines histoires au profit d’autres. En octobre 2020, le ministère de la Culture et des Communications annonçait d’ailleurs un projet de modification de la Loi sur la patrimoine culturel, qui demeure l’outil principal pour encadrer la préservation patrimoniale au Québec. Cette annonce survient après la démolition de plusieurs bâtiments historiques aux quatre coins de la province ces dernières années. Bien que chacune de ces démolitions ait un contexte qui lui est propre, leur étude croisée montre que la valeur patrimoniale ne fait souvent pas le poids contre les intérêts de la spéculation immobilière ou l’attrait de la nouveauté. Plusieurs organismes québécois soulignent depuis longtemps les limites des balises mises en place par l’État, qui ne suffisent pas à répondre à la crise patrimoniale. On en comprend donc que la protection du patrimoine ne peut être assurée uniquement par l’État. À cet égard, les œuvres de Lee Bae confirment que les artistes peuvent aussi actualiser les questions patrimoniales par leurs démarches et rappellent que l’art fournit un cadre propice pour réfléchir à ces mêmes questions.