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Vues d’exposition, Lee Bae: UNION, Fondation PHI, 2021. Lee Bae, Issu du feu, 2018 © Fondation PHI pour l’art contemporain, photos: Marc-Olivier Bécotte.

UNION: L’écologie des forêts de Lee Bae

  • Article
  • Fondation PHI
Par  Marie Hélène-Lemaire

Considérer les entités de la nature et nos corps comme composés d’une commune matière vibrante nous fait réaliser que, dans un monde tissé de cette matière animée, blesser une partie du réseau, c’est se blesser soi-même.
– Jane Bennett [1]

Avec ses installations Issu du feu, Lee Bae crée une forêt composée des pins de sa ville natale, Cheongdo, en Corée du Sud. Soigneusement choisis par l’artiste, ces arbres sont ensuite transformés en charbon de bois dans de grands fours fabriqués sur mesure. La matière-bois porte ainsi en elle la force élémentaire du feu: d’abord, elle en est issue, puisqu’elle est passée de son état initial de bois à celui de matière carbonisée; ensuite, elle est ravivée par le feu pour servir d’énergie combustible. Pour développer notre conscience écologique, nous manquons bien souvent de contact sensoriel significatif avec la forêt. Celle de pins carbonisés de Lee Bae nous offre une connexion profonde et complexe à la nature. À quelle relation nous ouvre-t-elle? Que nous communique-t-elle?

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Lee Bae dans son atelier à Séoul. Photos: Hongbum An.

1– UNE CONNEXION AUX FORÊTS BRÛLÉES

Si on considère la portée écologique des troncs de charbon d’Issu du feu, on a tout de suite à l’esprit l’image de forêts qui brûlent. Puis apparaissent celles des feux de la forêt amazonienne, ce «poumon de la Terre», à l’été 2019. Ces événements nous rappellent que la destruction par l’humain des écosystèmes forestiers entraîne une asphyxie de tous les éléments de la planète. Issu du feu de Lee Bae nous permet donc de contempler la destruction et la mort, et de nous y recueillir. Toutefois, toujours, cette œuvre exprime également la vie.

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Lee Bae dans son atelier à Séoul. Photos: Hongbum An.

Car le feu est aussi un puissant agent de renouvellement des forêts. Les forêts de charbon de bois de Lee Bae constituent un fort symbole du cycle de la mort et de la vie, de la destruction et de la régénération. En effet, durant des milliers d’années, pour une grande diversité de communautés autochtones, le feu était utilisé comme outil de gestion durable des écosystèmes forestiers. Ces pratiques consistaient à allumer avec expertise de petits incendies à certains endroits et à des périodes de l’année où ils sont bénéfiques et demeurent contrôlables. Selon cette perspective, le feu est un élément aussi essentiel que le vent ou la pluie, puisqu’il fait, depuis toujours, partie intégrante des cycles de la forêt. Ces peuples autochtones reconnaissent la multitude de cadeaux que la Terre nous offre, ce type de feu était une manière de prendre soin d’elle et de lui redonner en retour: pour aider à la croissance des bleuets, pour créer des prairies pour les cerfs, pour aménager les conditions idéales pour la pousse de jeunes bouleaux. [2]

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Vues d’exposition, Lee Bae: UNION, Fondation PHI, 2021. Lee Bae, Issu du feu, 2018 © Fondation PHI pour l’art contemporain, photos: Marc-Olivier Bécotte.

2– UNE CONNEXION À LA COMMUNICATION DES ARBRES

Lee Bae considère chaque tronçon de pin de sa forêt comme unique et distinct, chacun faisant partie d’un écosystème dont les composantes sont en constante interaction. Déambuler dans cette forêt noire et cendrée nous donne en effet une sensation de connexion à tous ces tronçons, unis par la carbonisation. Ce mouvement nous connecte à une sensation de profondeur, à une communication cryptique et souterraine. Le promeneur semble explorer tout à la fois les profondeurs obscures de la Terre et ses surfaces, effleurant les écorces et contemplant les anneaux de croissance du bois.

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Vues d’exposition, Lee Bae: UNION, Fondation PHI, 2021. Lee Bae, Issu du feu, 2018 © Fondation PHI pour l’art contemporain, photos: Marc-Olivier Bécotte.

Cette dimension de la forêt de Lee Bae évoque les recherches de la professeure d’écologie forestière Suzanne Simard, qui, sa vie durant, a tenté de prouver que la forêt est bien plus qu’une simple collection d’arbres. Si la plupart des chercheurs concevaient les arbres d’une même forêt comme des unités séparées, Simard a démontré le contraire en étudiant leurs systèmes de communication. Son travail montre que les forêts anciennes ne sont pas composées d’un assemblage d’organismes unitaires en compétition ou se tolérant les uns les autres. Au contraire, ce sont de vastes, d’anciennes et de complexes sociétés en relations de coopération, de négociation, de réciprocité et même d’altruisme. Sous la terre, les arbres et les champignons forment des partenariats connus sous le nom de réseaux mycorhiziens: c’est par ces réseaux que les arbres d’une même forêt communiquent de manière variée et sophistiquée entre eux [3].

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Vues d’exposition, Lee Bae: UNION, Fondation PHI, 2021. Lee Bae, Issu du feu, 2018 © Fondation PHI pour l’art contemporain, photos: Marc-Olivier Bécotte.

3– UNE CONNEXION À LA DIMENSION SPIRITUELLE DE LA FORÊT

Dans Issu du feu, Lee Bae nous offre également une connexion à la dimension spirituelle de la forêt. Au fur et à mesure que nous poursuivons notre promenade méditative, un sentiment du sacré nous gagne. L’artiste nous apprend d’ailleurs qu’autrefois le pin était considéré comme un arbre sacré par les Coréens, qui l’appelaient «arbre du monde» ou «arbre du cosmos» [4].

L’aspect spirituel de certaines luttes écoféministes nous aide à réfléchir à la manière dont le sacré peut nous connecter à la Terre et à la nature. L’écoféminisme présuppose toujours des liens structurels entre la domination patriarcale et la dégradation des écosystèmes. Inspirée par les cosmologies autochtones, la spiritualité écoféministe s’enracine dans les concepts d’interconnexion et de communauté au sein du vivant. La Terre est ainsi comprise comme une entité vivante dont nous faisons partie et qui incarne le principe d’animation que nous attribuons à tort à une entité transcendante, hors du monde et désincarnée. «Cette vision holistique permet d’entrevoir que toutes les relations entre les êtres vivants sont interconnectées: la dégradation de la nature ne peut pas être séparée du social ni du politique. Tout ce qui affecte une espèce en particulier touche l’entièreté du vivant». [5]

Ces trois sections de l’article se veulent des sentiers de réflexion explorant différentes écologies des forêts de Lee Bae. Choisissez-en une pour approfondir cette voie. Qu’apprenez-vous de plus sur le sujet?

Bibliographie

[1] Bennett, Jane. Vibrant Matter: A Political Ecology of Things. Durham, Duke University Press, 2010, 13. Reformulation et traduction de la citation d’origine.
[2] Wall Kimmerer, Robin. «Shkitagen: People of the Seventh Fire.» Dans Braiding Sweetgrass, 362-363. Minneapolis: Milkweed Editions, 2013.
[3] Jabr, Ferris. «The Social Life of Forests.» New York Times. 4 décembre 2020.
[4] Sim, Eunlog. «Ma mémoire externe.» Dans Lee Bae. Plus de lumière, 40. Saint-Paul de Vence: Fondation Maeght, 2018.
[5] Casselot, Marie-Anne. «Cartographie de l’écoféminisme.» Dans Faire partie du monde. Réflexions écoféministes, 23. Montréal: Les Éditions du remue-ménage, 2017.

Mouvements

L’outil Mouvements est conçu par l'équipe d'éducation de la Fondation PHI afin d’encourager les visiteurs à développer en profondeur certaines idées clés explorées par l’exposition Lee Bae: UNION. Avec Mouvements, les concepts proposés se partagent peu à peu entre eux par l’entremise de leur force d’évocation et de résonance; s’ouvrent ainsi des pistes de réflexion communes autour des œuvres et de l’exposition. Avec le temps, ces concepts voyagent, s’enrichissent et se transforment. Ils inspirent à tout un chacun d’autres idées qui constitueront de nouvelles contributions aux conversations sur l’art.

Autrice: Marie-Hélène Lemaire

Marie-Hélène Lemaire est responsable de l’éducation à la Fondation PHI pour l’art contemporain. Elle détient un doctorat en communications à l'Université Concordia qui porte sur le développement d’une pédagogie basée sur le mouvement pour la visite guidée de groupe dans les expositions d’art contemporain. Elle utilise les approches féministes de la corporéité, du néo-matérialisme et de la recherche poétique afin de privilégier et de valider nos engagements sensoriels, sensuels et affectifs envers l’art contemporain. Elle a publié dans The Journal of Museum Education (2021), Canadian Review of Art Education (2021), et Muséologies (2018). Elle nourrit une pratique d’écriture poétique pour le développement, l’animation et l’interprétation de son programme éducatif, ainsi que pour exprimer ses propres engagements esthétiques. Elle est vouée à la justice épistémique dans le milieu de l’art.

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