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Fondation

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Photo: Emily Gan

À l’écoute du mouvement

  • Article
  • Fondation PHI
Par  Marie-Hélène Lemaire Marilou Lyonnais Archambault  &  Kim Johnson

À l’été 2023, la Fondation PHI pour l’art contemporain a collaboré avec le Festival Quartiers Danses et ses médiatrices Yule Burlefinger et Aude Lachapelle, offrant des visites guidées dansées à des groupes parmi lesquels figuraient les artistes en danse Cara Roy et Kyra Jean Green. Les visites co-organisées faisaient partie de l'exposition Conditions d'utilisation, présentée à la Fondation du 9 mars au 9 juillet 2023. L'exposition abordait le sujet de l’identité, des connexions virtuelles et de la performance à travers le prisme de la technologie. Lisez ci-dessous, un témoignage d'une de ces visites dansées uniques et enrichissantes.

Une visite guidée dansée à la Fondation PHI pour l'art contemporain

Bien souvent, lorsque nous imaginons une visite guidée dans un musée d’art contemporain, nous voyons un·e éducateur·trice qui transmet des informations à plusieurs participant·e·s et qui anime une discussion. Que le modèle pédagogique soit conventionnel ou progressiste, notre rapport à l’art contemporain en est encore un de contemplation distanciée et est bien souvent interprété à travers notre intellect. Nous hésitons à engager nos corps, nos sens et nos émotions, car, semble-t-il, ceux-ci ne mènent pas à une réelle connaissance sur l’art.

L’historienne de l’art Claire Bishop parle de l’idée d’« euphoria of space » [1] pour décrire ce sentiment qui envahit les visiteur·euse·s dès leur entrée dans l’architecture impressionnante des musées d’art: cette sensation de déférence face à la monumentalité de l’architecture occupe alors l’avant plan de l’expérience de leur corps et leur relation esthétique personnelle à l’art est reléguée en arrière plan. Le corps perd ainsi confiance en ses capacités et les éducateur·trice·s du musée sont perçu·e·s comme étant les seul·e·s détenteur·rice·s de la connaissance sur les œuvres, perpétuant le modèle pédagogique de transmission du maître à l’élève.

Au département de l’éducation de la Fondation PHI, nous considérons qu’il est crucial de valoriser et d’encourager le mouvement du corps et de l’affect durant la visite de groupe si on veut élargir l’accessibilité pour tou·te·s à l’art contemporain. Il y a une dimension politique à prendre en compte le·la visiteur·euse comme un être holistique, comprenant son intellect, mais aussi, et tout autant, son corps, ses émotions, et même sa spiritualité.

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Photo: Emily Gan

En commençant par [Dé]faroucher de VahMirè

La visite dansée de l’exposition Conditions d’utilisation débute avec l’exploration de l'installation [Dé]faroucher (2019-2023) de l’artiste VahMirè (Ludmila Steckelberg) avec Cara. Le groupe est d’abord invité à traverser la salle librement afin de s’imprégner du lieu. L’œuvre—composée de vidéos, sculptures, œuvres en réalité virtuelle, installation de rubans—représente ses lieux préférés de Montréal. Pour cette première interprétation, nous évoquons le parcours de vie de l’artiste montréalaise d’origine brésilienne. Au sein de son installation, l’artiste cerne ses état-d’âmes ambivalents face à différents espaces de la ville de Montréal: elle s’y sent chez-elle, accueillie, mais simultanément, exclue et isolée, à la fois confortable et inconfortable. Une discussion est entamée autour de sujets chargés tels que le sentiment d’appartenance en terre d’accueil et les lieux que nous occupons dans différentes sphères de nos vies. Une portion de l’œuvre de Steckelberg nous permet d’explorer des lieux symboliques pour celle-ci grâce à la photogrammétrie. Installé·e·s au sol devant une projection présentant l’artiste sous différentes facettes, nous prenons un moment pour revenir à notre corps, lorsque Cara nous propose un exercice de visualisation. Les yeux fermés, nous sommes transporté·e·s vers un lieu préféré, un espace où l’on se sent bien, apaisé·e·s et serein·e·s. Nous nous faisons guider par notre artiste de la danse, les mouvements corporels suggérés pour explorer nos imaginaires sont d’abord faits de façon timide, mais tranquillement le corps devient une matière malléable qui se façonne au même titre que l’œuvre.

Plusieurs participant·e·s témoignent être touché·e·s par le parcours migratoire de Steckelberg et manifestent avoir déjà éprouvé ce sentiment de défarouchement, cette émotion d’incomplétude et d’ambivalence face à un nouveau territoire. L’œuvre de Steckelberg résonne avec plusieurs réalités des groupes communautaires qui ont participé à nos visites dansées. Grâce à l’exploration des gestes intuitifs, la réticence laisse graduellement place au partage et aux confidences. Une personne nous fait part d’un rêve, celui de visiter la Mecque. À travers cette introspection guidée, elle réalise qu’elle peut voyager à travers ses pensées et prendre une certaine agentivité sur ses objectifs; cela lui fait un grand bien. Nous terminons cette portion de la visite en traversant une installation de rubans, une invitation au toucher met les participant·e·s en confiance. La possibilité de pouvoir toucher, bouger, occuper l’espace de manière vaste et amplifiée dans la salle du musée instaure chez les visiteur·euse·s un droit d’agir, de compréhension et de légitimité dans leur connaissance des œuvres et du parcours.

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Photo: Emily Gan

Installations de Skawennati et CyberPowWow

&

Technology/
Transformation: Wonder Woman de Dara Birnbaum

Arrivé·e·s à l’étage suivant, nous prenons le temps de nous saluer devant les installations de l’artiste Skawennati et de CyberPowWow, puis nous poursuivons la visite devant l'œuvre phare Technology/Transformation: Wonder Woman (1978-1979) de l’américaine Dara Birnbaum. Pionnière de l’art vidéo des années 70, Birnbaum propose un regard critique et subversif sur les canons de représentation féminine diffusés par les grands médias de masse, plus particulièrement par la télévision. En utilisant la répétition et le re-mixage vidéo, l’artiste recadre le personnage familier de Wonder Woman dans un espace captif. Par un jeu d’écho visuel et de reprises, Birnbaum mine les définitions normatives du genre féminin. Une lecture de l’œuvre par le mouvement est alors proposée au groupe par Cara. Regroupé·e·s en cercle, nous effectuons à notre tour une série de gestes répétés sur la thématique de la force. Dans un chœur en mouvement marqué d’amusement et d’éclat de rires, nos invité·e·s nous partagent que ce moment est un espace émancipateur décomplexant propice au défoulement et au lâcher-prise. Le rituel de procession du musée est complètement sabré; les visites dansées favorisent chez les visiteur·euse·s une interprétation libre de l’œuvre. Les participant·e·s sont invité·e·s à s’approprier les œuvres de façon affective et expérientielle.

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Photo: Emily Gan

Lueurs d’écran sous un ciel sans lune de Shanie Tomassini

Nous nous dirigeons maintenant au 4e étage de la Fondation, et prenons une pause devant l’installation Lueurs d’écran sous un ciel sans lune (2023) de l’artiste Shanie Tomassini. Nous mettons de côté l’observation comme seul moyen d’entrer en interaction et procédons à une courte séance de méditation résonnant avec le caractère spirituel de l’œuvre. Cara nous invite aussi à vocaliser le son «om» ou celui de notre choix. Le « om » a les bienfaits de faire vibrer non seulement nos cordes vocales, mais aussi notre cage thoracique et l’intérieur de tout notre corps. Aussi par notre « om » résonant rassembleur, nous nous enracinons et nous nous déployons ensemble dans l’espace. Les participant·e·s se donnent alors la permission d’occuper l’espace et de s’exprimer par des gestes ou des instants introspectifs. Iels nous décrivent ce moment comme libérateur et fédérateur.

Également, se remémorant l’expérience de l’œuvre Lueurs d’écrans, Cara réfléchit au rapport entre conversation verbale et conversation corporelle. Elle nous dit: « on a eu des discussions plus politiques autour de notre rapport aux téléphones cellulaires et ensuite de se connecter aux vibrations très simples du corps faisait se déposer les cendres, après une discussion plus chargée, on se reconnecte au corps et à l’espace de l’alcôve. »

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Photo: Emily Gan

Meet Me Half Way
de Chun Hua Catherine Dong

&

Observations sur la visite

Continuant notre parcours vers l’autre bâtiment de la Fondation, au 465 de la rue Saint-Jean, nous sommes envoûté·e·s par l’œuvre de Chun Hua Catherine Dong où l’espace numérique devient un lieu de jeu et de reconfiguration identitaire. Meet Me Half Way (2021), œuvre introspective, propose un espace d’excursion libre et ondulante au sein d’un environnement numérique semi-abstrait inspiré de souvenirs d’enfance de l’artiste. Guidé·e·s par les propositions de Cara, nous entamons en chœur une ronde inspirée par les mouvements de l’eau, des grands huits et du scintillement.

En conclusion, en discutant avec les participant·e·s, nous sommes ravi·e·s de constater un sentiment de bien-être qui semble s’être taillé une place au creux de l’imaginaire et des corps de tou·te·s, malgré l’imprévisibilité à laquelle le groupe à fait face tout au long de la visite.

La visite guidée dansée permet un rapport de proximité à l’œuvre différent de celui des visites guidées traditionnelles. Les lectures et interprétations de l’œuvre personnifiée par le corps autorisent une intériorisation de l’expérience de l’objet d’art. Une confiance du corps dans l’espace s’installe rapidement chez les participant·e·s. À travers le jeu, plusieurs nous ont confié s’être reconnecté·e·s avec leur « côté enfant ». Cara constate que le corps a aussi la puissance d’interpréter l’art, et nous sommes bien d’accord.

Ce que nous retenons de cette rencontre sous le thème de la danse et du partage est un puissant sentiment de liberté. La visite dansée propose une alternative à la visite traditionnelle. Elle propose un espace où les participant·e·s adoptent une attitude active plutôt que passive à l’intérieur des salles de l’exposition. Cette approche favorise une interprétation plus personnelle des œuvres d’art. Une aisance survient naturellement grâce au mouvement et à la collaboration permettant à tou·te·s de contribuer de façon décontractée à une expérience d’appréciation, de discussion et de partage.

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Photo: Emily Gan

Bibliographie

[1] Claire Bishop (2013). Radical Museology, or, What’s ‘Contemporary’ in Museums of Contemporary Art? Koenig Books, London, p. 5.
https://monoskop.org/images...

Autrices

Marie-Hélène Lemaire
Marie-Hélène Lemaire est responsable de l’éducation à la Fondation PHI pour l’art contemporain. Elle détient une MA en muséologie à l’UQÀM (Université du Québec à Montréal), ainsi qu’un doctorat en communications à l'Université Concordia qui porte sur le développement d’une pédagogie basée sur le mouvement pour la visite guidée de groupe dans les expositions d’art contemporain. Elle utilise les approches féministes de la corporéité, du néo-matérialisme et de la recherche poétique afin de privilégier et de valider nos engagements somatiques, sensoriels, haptiques et affectifs envers l’art contemporain. Elle nourrit une pratique d’écriture poétique pour le développement, l’animation et l’interprétation du programme éducatif de la Fondation PHI, ainsi que pour exprimer ses propres engagements esthétiques. Elle a publié dans The Journal of Museum Education (2021), Canadian Review of Art Education (2021), et Muséologies (2018). Elle est auteure d’un chapitre dans le livre à venir Art Education in Canadian Museums: Practices in Action (Intellect, juillet 2024).

Marilou Lyonnais Archambault
Marilou Lyonnais Archambault artiste multidisciplinaire et éducatrice est bachelière en enseignement des arts visuels et médiatiques à l’UQAM et complète présentement un MFA à l’université Concordia en Intermedia. Sa pratique artistique propose une œuvre réflexive sur des sujets tels que la mémoire, la condition numérique, le vivant et les espaces liminaux. Son approche rassemble son, musique, installation, images fixes et en mouvement.

Musicienne au sein du duo Saudade, elle a donné plusieurs prestations en sol boréal et anime, depuis plus d’une demi-décennie, une émission de radio (n10.as) axée sur le mélange de rythmes abstraits, de dance music nostalgique et d'atmosphères brumeuses. Elle est fréquemment DJ dans divers évènements de la ville.

L’artiste a performé dans le cadre de festivals tels que Suoni Per il Popolo, MUTEK, FIMAV, Piknic Electronik, Sight & Sound et a exposé dans des institutions culturelles de Montréal; Centre PHI, Eastern Bloc, Never Apart. Son travail a été soutenu par le Conseil des arts du Canada.

Kim Johnson
Kim Johnson est éducatrice à la Fondation PHI. Elle a complété un baccalauréat en Éducation de l’art à l’Université Concordia en 2016. Kim s’investit dans la démocratisation de l’art visuel à travers ses projets pédagogiques et artistiques au sein de divers centres communautaires et d’institutions culturelles de Montréal. Artiste visuelle, elle puise son inspiration dans les connexions humaines, le féminin et la nature.

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