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Moridjakitengebanza exposition

Fondation

Introduction – Habiter l’imaginaire

Dans un monde où l’espace est continuellement façonné par les relations de pouvoir et les héritages historiques, l’idée d’habiter mon imaginaire m’offre un refuge où je peux façonner ma propre réalité. Doreen Massey, géographe britannique, défend l’idée que l’espace est socialement construit et que les cartes et les territoires reflètent les rapports de pouvoir qui les ont produits. Cependant, elle affirme également que ces espaces ne sont pas figés et peuvent être contestés et transformés.

Lorsque je m’immerge dans mon imaginaire, j’ai l’opportunité de contester les hiérarchies du pouvoir et de transformer les dynamiques à l’œuvre dans mon environnement réel. Néanmoins, celui-ci est influencé par les histoires et les contextes de mes espaces d’habitation réels, où les relations de domination, notamment celles héritées de l’histoire coloniale, sont souvent systémiques et profondément ancrées dans nos sociétés. Ainsi, mon imaginaire, seule superficie en « ma possession », peut parfois être teinté de ces éléments, créant un espace hybride où les tensions entre le réel et l’imaginaire sont palpables.

Habiter l’imaginaire est une réflexion sur cet espace que je m’efforce de créer, mais dans lequel l’hybridité s’impose. Une vitrine du réel, où les éléments de ma vie quotidienne et de mon histoire personnelle se mêlent et interagissent. Un espace global et local, dans lequel je suis à la fois libéré et limité par les structures de pouvoir qui ont façonné ma réalité.

Pour l’exposition à la fondation, je propose deux projets distincts, mais en dialogue.

G1 – Chiromancie (2008-en cours)

Ici, je propose une nouvelle série de peintures dans le cadre de mon projet Chiromancie. Depuis 2008, j’ai travaillé sur cette série de peintures à l’encre sur papier Mylar ou acrylique sur toile pour créer une cartographie qui mêle histoire, mémoire et territoire. Dans cet univers semi-fictionnel, j’inscris mon « récit potentiel, actuel ou révolu dans l’espace qui le sublime en lieu », comme l’a souligné le sociologue et anthropologue français Jean-Didier Urbain. En effet, le lieu résulte de l’appropriation d’un espace par une mise en intrigue particulière imposant un modèle d’interprétation et d’usage.

La cartographie a longtemps été utilisée comme un outil de domination et de contrôle colonial. Les frontières ont été tracées sans considération pour les communautés et les cultures locales, conduisant à des conflits territoriaux et à des divisions artificielles qui persistent encore longtemps après « la fin » des empires coloniaux. La conférence de Berlin de 1884-1885 a été un moment clé dans l’histoire de la cartographie coloniale, car elle a établi les règles pour la partition de l’Afrique entre les puissances européennes, sans aucune considération pour les cultures et les communautés locales.

En utilisant mon expérience personnelle de l’espace, j’ai créé une étude de cas de moi-même, que je réalise en série chaque année, pour repenser le territoire à travers le prisme de l’histoire individuelle. En m’inspirant de la chiromancie, un procédé de lecture divinatoire basé sur l’analyse des traits de la main, je donne à lire un avenir – le mien – à la lumière de mes déplacements. Partant toujours du tracé des trois lignes de ma main gauche, révélées par le jeu d’ouverture et de fermeture de ma paume, je déploie mon pinceau dans un mouvement continu, jusqu’à ce que l’encre ou l’acrylique s’épuise et révèle un premier itinéraire, une première cassure.

La série que je présente au premier étage s’inscrit dans les problématiques géopolitiques actuelles en République Démocratique du Congo. La majorité de ces peintures explore la réflexion sur la transformation du territoire, en particulier en ce qui concerne l’exploitation minière. Ces exploitations ont conduit à des conflits armés qui sévissent depuis plus de 20 ans. L’exploitation minière en RDC modifie le territoire et les enjeux géopolitiques, affectant l’environnement, les communautés locales et provoquant des conflits et une instabilité dans la région. Mon travail vise à intégrer ces réalités complexes et à offrir une vision alternative et personnelle de la manière dont le territoire est perçu et vécu, en mettant en lumière les liens entre l’histoire coloniale, les relations de pouvoir et les dynamiques géopolitiques actuelles.

Chacune de ces peintures mêle un espace fictionnel à des éléments de certaines localités de l’est et du sud de la République Démocratique du Congo. Certains éléments sont présents pour des raisons personnelles que seul moi-même peux comprendre, tandis que d’autres sont comme une cartographie d’événements difficiles que l’on aimerait oublier mais qui, malgré nous, reviennent nous hanter constamment. Présentés comme des vues satellites, ces espaces deviennent alors des entités nouvelles dans lesquelles mes récits émotionnels actuels ou passés vont les sublimer en lieux.


G2 – Chiromancie (2008-en cours)

Dans la continuité du premier étage, je propose au deuxième une suite de ma série Chiromancie qui s’inscrit en lien avec mon territoire d’habitation actuel: le Québec.

En référence à la photo n° 2 de ma série Authentique ainsi qu’à mes photographies aériennes prises lors de mes voyages hivernaux, je pose ici une réflexion sur la manière dont mon récit personnel prend place dans cet espace québécois-canadien. Bien que ce ne soit pas mon lieu d’origine, le Québec a subi des transformations similaires aux territoires africains, notamment en raison de son passé colonial et des activités d’exploitation des ressources naturelles.

M’intéressant récemment à la manière dont les ressources minières et autres transforment le territoire, je me suis penché sur le nord du Québec, une région riche en ressources naturelles et en histoire.

Inspiré par les travaux de l’historien et géographe canadien Harold Innis et du géographe français Paul Vidal de La Blache, qui ont tous deux étudié les relations entre l’exploitation des ressources et le développement des territoires, j’ai exploré comment ces dynamiques se manifestent dans le contexte québécois.

Dans cette série de Chiromancie dite d’hiver, j’intègre des vues satellitaires des mines à ciel ouvert et des espaces environnants aux lignes de ma main. Cette fusion symbolique entre les marques personnelles et les transformations du paysage souligne les liens entre l’individu et le territoire, ainsi que les interactions complexes entre les ressources naturelles, l’environnement et les dynamiques sociopolitiques.

En mêlant mon expérience personnelle et les réalités géopolitiques du Québec, cette série vise à mettre en lumière les similitudes et les différences entre les contextes africain et québécois, tout en interrogeant les conséquences de l’exploitation des ressources sur le territoire et ses habitant·e·s. En confrontant ces deux mondes, je propose une réflexion sur la manière dont les relations de pouvoir, l’histoire coloniale et les enjeux environnementaux se manifestent à travers différents contextes géographiques et culturels.


G3 – Cycle (2023)

En septembre 2018, j’ai été victime d’une discrimination raciale pour la première fois de manière directe. Pendant longtemps, je me suis posé la question de savoir comment en parler pour me libérer et passer à autre chose. Cet événement a remis en question la manière dont j’habite l’espace et la place que j’occupe dans celui-ci.

Autour de moi, personne n’osait en parler dans l’espace où cela s’est passé. On m’a proposé de l’aide en me demandant si j’avais des suggestions pour résoudre le problème. J’ai réalisé que la plupart des personnes qui subissent une discrimination raciale ont souvent reçu les mêmes propositions de la part de leur responsable ou de l’institution où cela s’est passé. Mais surtout, qu’on est seul à vivre cette incompréhension et qu’on a honte d’en parler, comme si on était sali. Parler avec une personne est le seul moyen pour s’en débarrasser. Certains amis m’ont même conseillé de consulter un psychiatre.

Ma longue réflexion sur ce que j’ai vécu m’a amené à me poser la question du lien entre la discrimination raciale et le profit économique, politique, etc. En me basant sur ces différentes questions ainsi que mes recherches sur la question du racisme, de l’esclavage et de la colonisation, j’ai eu une idée folle, à savoir si le racisme était une matière première. À qui profiterait-il ? Pourrais-je en tirer profit ?

Avec cette proposition artistique, je souhaite inscrire l’acte de discrimination que j’ai subi dans une réflexion plus large sur la manière dont nous vivons l’espace et sur la façon dont les systèmes de discrimination sont inconsciemment perpétués dans les structures et les institutions de notre société.

Je propose une installation qui s’inspire de mon processus de création installative, une œuvre conceptuelle qui utilise l’ironie tout en puisant ses références dans les histoires politiques, sociales et économiques de nos sociétés.

Cycle est une entreprise spécialisée dans le recyclage du racisme. Elle a obtenu la certification BCorp la première fois en 2019. Leader mondial dans le domaine, Cycle permet – grâce à son procédé de recyclage breveté – le recyclage d’une idéologie qui, partant du postulat de l’existence de races au sein de l’espèce humaine, considère que certaines catégories de personnes sont intrinsèquement supérieures à d’autres.

Ici, le racisme est une matière première, comme l’or, le diamant, le sucre, le café qui permet de faire du profit. Cette référence au profit renvoie au système capitaliste qui est basé sur la propriété privée des moyens de production et d’échange, ainsi que sur la recherche du profit et de l’accumulation de richesse. Il repose sur le principe de l’offre et de la demande, où les prix sont déterminés par la quantité de biens et de services disponibles et la demande du marché.

L’installation présentée à PHI est la représentation de l’aire d’accueil de l’entreprise. Vous avez accès à plus d’informations dans les fascicules et le clip vidéo de présentation de l’entreprise.

G4 – Hymne à nous (2009)

Reliant les différents segments de l’exposition, une composition sonore in situ est diffusée dans l’escalier principal de l’immeuble menant à Hymne à nous (2009), présentée au quatrième étage.

Composé de phrases de différents hymnes nationaux : congolais, belge, français, d’un bout de texte du poème de Schiller et de celui d’un faux discours du Roi Léopold II des belges adressé aux missionnaires au Congo, Hymne à nous est une vidéo qui questionne l’identité. Depuis l’Ode à la joie de Beethoven récupéré par l’Union Européenne, et à partir de fragments de chacun de ces hymnes et des discours qui ont construit mon histoire, j’ai recomposé un chant que j’interprète de manière lyrique en étant démultiplié trente fois, nu, pour former une chorale à 4 voix (soprano, alto, ténor, basse). Se mettre à nu – dévoiler sans se cacher, tel est le combat que je mène. Le combat du respect de l’autre. Également un clin d’œil à la chanson Luba « Bibakole », chantée pour motiver les troupes. Elle fait référence aux personnes du Nord-Katanga, région d’origine de mon père, qui se sont battues contre les sécessionnistes du Katanga majoritairement du Sud. Un hymne crée un sentiment national et dit à sa manière ce que les gens ont le droit ou pas de faire. L’hymne que je chante est un collage, un agencement de morceaux prélevés dans lequel se révèlent des trous, des absences, des contradictions, des cassures, des fissures.

Avec cette œuvre, je me penche sur ma condition d’Africain-Européen par la colonisation belge, en me posant la question de la perte de soi, en embrassant l’universel, je compose mon propre hymne pour mieux rassembler ce collage, cette juxtaposition, ce métissage bricolé et forcé. Depuis l’Ode à la joie de Beethoven récupéré par l’Union Européenne, je tisse des phrases puisées dans les différents hymnes ou discours qui ont construit mon histoire: celui de la République démocratique du Congo, ex-Zaïre, où je suis né, celui d’un faux discours du Roi Léopold II adressé aux missionnaires au Congo, la Marseillaise française et enfin l’hymne national belge. Et pour célébrer cet hymne, une trentaine de Moridja, clones de moi-même, nus comme au premier jour, désarmés, candides, accordent leurs voix et chantent à l’unisson, le regard fier regardant loin devant eux.