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Photo: Anna Hains-Lucht

Les discriminations liées au genre dans la langue française

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  • PHI Foundation
By  Anna Hains-Lucht

Vers une plus grande inclusion des femmes et des personnes non binaires

This article is available in French only.

Je me rappelle très clairement la première fois que j’ai entendu la règle grammaticale «le masculin l’emporte sur le féminin». Alors en deuxième année du primaire, âgée de huit ans, je ne comprenais pas pourquoi cette règle existait et je la trouvais profondément frustrante. Mon enseignante était manifestement mal à l’aise avec cette leçon qu’elle devait nous donner et, à mon grand désespoir, je voyais que cette convention grammaticale réjouissait plusieurs de mes camarades masculins. Aujourd’hui, en tant que féministe queer, je suis encore plus choquée par cette règle car je connais les causes systémiques de son existence. Celle-ci trouve sa source dans la manière dont on nous force depuis des siècles à conceptualiser le genre en Occident, soit en se basant sur «la structure idéologique, morale, sociale, culturelle, politique qui consiste à figer les identités de genre des membres d’une société selon deux polarisations uniques et distinctes: les genres “homme” et “femme”» [1] et en décrétant que le genre est défini par les organes génitaux.

Comme n’importe quel aspect d’une société, le langage est malléable. Il évolue au fil du temps et peut être mis au service de différentes idéologies. Le français est porteur de plusieurs problématiques, dont les discriminations liées au genre. Ces dernières sont fortement ancrées dans la langue française, qui enferme ses sujets dans les catégories socialement construites d’«homme» et de «femme» et rendent ainsi invisibles les personnes non binaires. Ces discriminations sont la résultante d’une extrême violence physique et psychologique qui a sévi partout sur la planète à cause du colonialisme européen. De nombreuses cultures respectaient et incluaient pourtant activement dans leurs sociétés des identités traditionnelles de genre non binaires depuis des temps immémoriaux, par exemple les personnes bispirituelles de l’Île de la Tortue (Amérique du Nord), les Quariwarmi de la société inca du Pérou précolonial et les Hijras en Asie du Sud [2], pour n’en citer que quelques-unes. Le terme «non binaire» est employé comme terme parapluie par celleux qui ne sont «ni exclusivement un homme ni exclusivement une femme [3]», ces personnes pouvant s’identifier partiellement à un genre, mais pas entièrement, à plusieurs genres, à aucun genre, etc [4]. Il y a autant d’expériences de genre qu’il y a d’individus, le genre étant plus qu’un spectrum mais bien une intersection unique que nous occupons comme une position mobile sur une carte, un univers abstrait et complexe qui ne se situe pas simplement entre deux pôles distincts. C’est un concept socialement et culturellement construit qui existe indépendamment de la biologie et qui est indissociablement lié avec différents types d’oppressions (classisme, racisme, validisme, etc.) qui influencent la manière dont il est vécu. Tout comme les femmes, les personnes non binaires sont effacées du discours francophone, car différentes règles grammaticales prônent la supériorité du genre masculin, un biais cognitif qui s’intègre inconsciemment dans l’imaginaire collectif. Appliquer la grammaire française à la lettre renforce le sexisme et la transphobie dans notre société. Heureusement, de nouvelles formes d’écriture viennent pallier la situation. Celles-ci seront présentées plus loin dans le texte.

Historiquement, le français n’a pas toujours été dominé par le masculin. C’est au 17e siècle qu’il commence à se masculiniser, à la suite de la création de l’Académie française en 1635. Cette réforme de la langue n’est pas un choix linguistique, mais bien un choix politique. En effet, l’Académie française, alors formée exclusivement d’hommes, se base sur des arguments sexistes pour faire disparaître des termes comme peintresse, philosophesse, médecine, autrice et poétesse de l’usage courant [5]. Louis-Nicholas Bescherelle, créateur de l’ouvrage grammatical portant le même nom, l’énonce clairement: «on ne dit pas professeuse, graveuse, compositrice […] par la raison que ces mots n’ont été inventés que pour les hommes qui exercent ces professions [6]». Pourtant, au Moyen Âge, les termes qui évoquaient des positions de pouvoir ou des métiers valorisés existaient tant au féminin qu’au masculin: c’est la preuve que la masculinisation de la langue a été un choix motivé par une idéologie patriarcale. Jusqu’au 17e siècle, il était également question de l’utilisation de l’accord de proximité. Par exemple, dans la phrase «les hommes et les femmes sont intelligentes», le mot «intelligent» s’accordait au féminin puisque le nom commun «femmes» est plus proche de l’adjectif que le nom commun «hommes». Cependant, en 1647, Claude Favre de Vaugelas, un des premiers académiciens, déclare que «le genre masculin étant le plus noble [il] doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble [7]». La règle fut donc changée pour que la forme masculine soit désignée comme la forme dite «neutre», communément appelée le masculin générique. Dans plusieurs langues, le genre neutre est présent, entre autres en anglais, en allemand et en suédois, ce qui peut faciliter l’inclusion des genres non binaires, chose plus difficile en français. Si on observe la phrase «il fait beau», on se rend vite compte que même l’impersonnel est régi par le masculin générique. Questionner la binarité rigide de notre grammaire nous permet de remettre en question bien plus que des accords et des mots, mais la construction même de notre organisation sociale.

Heureusement, dans plusieurs pays francophones, on observe une évolution à partir du milieu des années 1980 quant à la place de la rédaction non sexiste dans la société, et ce, malgré la réticence de l’Académie française, qui opte pour une position réactionnaire et conservatrice. Le Québec est alors un précurseur en ce qui a trait à la féminisation du français, et c’est en 1979 que l’Office de la langue française présente un décret qui recommande la féminisation lexicale des titres et des métiers [8]. Bref, la langue française n’a pas toujours été ce qu’elle est aujourd’hui à cause de l’influence d’idéologies politiques oppressantes, mais elle continue, malgré les avancées, à avoir grand besoin d’être adaptée pour qu’on puisse y intégrer toutes les personnes qui composent la société, notamment en ne s’arrêtant pas à sa féminisation mais en visant sa neutralisation.

Le langage inclusif est une forme d’activisme du quotidien, puisqu’il permet d’inclure la présence des femmes et des personnes non binaires dans notre corps social. Le langage est ce qui permet de concevoir la réalité qui nous entoure. Il influence notre façon de s’y projeter, car c’est par l’association de concepts et d’images qu’on peut se positionner dans le monde. Dans l’ouvrage Grammaire non sexiste de la langue française, l’autrice Suzanne Zaccour et l’auteur Michaël Lessard mentionnent une étude qui a comparé l’emploi d’une grammaire binairement inclusive et celui d’une grammaire exclusive. Dans cette étude, on a demandé aux participant·e·xs de s’imaginer une personne connue en utilisant le masculin générique, c’est-à-dire en utilisant des termes comme «un artiste», «un héros», etc. Les résultats sont les suivants: «En moyenne, 23% des représentations mentales sont féminines après l’utilisation d’un générique masculin, alors que ce même pourcentage est de 43% après l’utilisation d’un générique épicène» [9]. Cette étude appuie l’idée que d’omettre d’utiliser un langage inclusif contribue à maintenir les stéréotypes de genre dans l’imaginaire populaire. Ainsi, chaque fois qu’un terme est utilisé uniquement au masculin générique, on occulte la possibilité des femmes et des personnes non binaires de s’identifier à ce dont il est question. Pour ces raisons, rendre la langue française inclusive représente un projet important, c’est un projet politique de tous les jours qui permettra à toutes les personnes qui composent la société d’y trouver leur place et d’y participer activement.

GUIDE DE RÉDACTION INCLUSIVE

Les prochaines lignes se veulent un petit guide de rédaction inclusive. Il faut noter que le processus de transformation de la langue est dynamique. Les réalités sociales étant sujettes à évoluer rapidement, il se peut que les procédés à privilégier aujourd’hui évoluent avec le temps ou que de nouveaux procédés soient créés. Il n’existe pas encore de règles fixes pour encadrer l’utilisation de certaines des techniques qui suivent, car celles-ci résultent d’une grammaire émergente. Pour obtenir un texte fluide, il est recommandé d’écrire dès le départ de manière inclusive au lieu d’essayer de modifier des textes déjà écrits au masculin générique. On peut également varier les méthodes dans un même texte ou discours oral. Il est très important de noter que les méthodes de rédaction qui permettent l’inclusion des personnes non binaires sont à privilégier.

1. Les termes épicènes

  • Cette technique consiste à employer des termes ayant la même forme au masculin et au féminin.
  • Exemples: le·a responsable, unE guide, des personnes, mon adelphe [10]

2. Les tournures génériques

  • C’est l’utilisation de noms collectifs pour désigner un groupe.
  • Exemples: la présidence, le public, la direction

3. Les graphies tronquées

  • Avec l’aide d’un signe typographique, on ajoute les finales féminines et neutres aux termes masculins.
Langue exemple1 2 2021 03 15 204607
Langue exemple2

4. Les doublets

  • Ce procédé consiste à utiliser les formes masculine et féminine l’une à la suite de l’autre.
  • Exemples: les visiteuses et les visiteurs, celles et ceux, ils et elles

5. Les mots-valises et les néologismes

  • En rédaction inclusive, un mot-valise résulte du télescopage (de la fusion) entre la forme féminine et la forme masculine des mots, et un néologisme résulte de la création d’une nouvelle terminologie neutre.
  • Exemples : il + elle = iel ou ielle, celles + ceux = celleux, tous + toutes = toustes, auteur + autrice = autaire, travailleur + travailleuse = travailleureuse, ami + amie = amix (singulier) amiz (pluriel) [11], frère + sœur= frœur [12]

Pour conclure, il est important que toutes les personnes composant la société prennent conscience de l’héritage sexiste et transphobe de la langue française et prennent une distance critique face à certaines règles qui la régissent. Il est aussi primordial de reconnaître l’impact que peut avoir l’emploi du masculin générique sur chaque individu, et de faire l’effort d’utiliser une grammaire inclusive pour toustes, que le contexte soit professionnel ou personnel. Il ne faut pas s’arrêter à la féminisation des termes, mais viser des changements plus radicaux en privilégiant la queerisation [13] (ou neutralisation) du français pour inclure les personnes non binaires dans le langage. Pour s’assurer de respecter l’identité de chacun·e·x, on peut aussi, lors d’un échange de vive voix ou par écrit, introduire ses pronoms (elle, il, iel, ielle, ul, al, etc.) et ensuite inviter son interlocuteur·trice·x à faire de même. Il ne faut pas présumer, par exemple, qu’une personne qui a «l’air d’une femme» selon les standards de notre société s’identifie nécessairement comme telle. Cette pratique simple gagne à être normalisée, tout comme l’utilisation de la grammaire inclusive.

Bibliography

[1] Seinouille. 2016. «Décolonisons le genre. Genre et (post-)colonialisme: comment ces mots sont-ils liés?»
https://seinseya.wordpress.com/2016/04/12/decolonisons-le-genre-genre-et-post-colonialisme-comment-ces-mots-sont-ils-lies/
[2] La vie en queer. 2018. «Genres en dehors de la binarité occidentale»
https://lavieenqueer.wordpress.com/2018/05/06/genres-en-dehors-de-la-binarite-occidentale/
[3]La vie en queer. 2018. «Les erreurs d’utilisation du terme non-binaire.» https://lavieenqueer.wordpress.com/2018/06/02/les-erreurs-dutilisation-du-terme-non-binaire/
[4] La vie en queer. 2018. «Les identités de genres non-binaires.»
https://lavieenqueer.wordpress.com/2018/06/02/les-identites-de-genres-non-binaires/
[5] Lessard, Michaël et Zaccour, Suzanne. 2017. Grammaire non sexiste de la langue française. Saint-Joseph-du-Lac: M Éditeur, p. 10
[6] Lessard, Michaël et Zaccour, Suzanne. 2017. Grammaire non sexiste de la langue française. Saint-Joseph-du-Lac: M Éditeur, p. 11
[7] Lessard, Michaël et Zaccour, Suzanne. 2017. Grammaire non sexiste de la langue française. Saint-Joseph-du-Lac: M Éditeur, p. 12
[8] Lessard, Michaël et Zaccour, Suzanne. 2017. Grammaire non sexiste de la langue française. Saint-Joseph-du-Lac: M Éditeur, p. 181
[9] Lessard, Michaël et Zaccour, Suzanne. 2017. Grammaire non sexiste de la langue française. Saint-Joseph-du-Lac: M Éditeur, p. 18
[10] Martin, Gabriel. 2016. «La queerisation du français – De frère et soeur à adelphe (Tribune Libre).»
http://www.lecollectif.ca/la-queerisation-du-francais-de-frere-et-soeur-a-adelphe-tribune-libre
[11] Alpheratz, 2018. «Genre neutre»
https://www.alpheratz.fr/linguistique/genre-neutre/
[12] Ashley, Florence. 2019. «Les personnes non-binaires en français: une perspective concernée et militante.» H-France Salon Volume 11, Issue 14, #5. https://www.florenceashley.com/
[13] Martin, Gabriel. 2016. «La queerisation du français – La création du genre épicène»
http://www.lecollectif.ca/la-queerisation-du-francais-la-creation-du-genre-epicene/

Author: Anna Hains-Lucht

Anna Hains-Lucht explores themes of identity, body, temporality and psyche through a multidisciplinary practice. Interested in social justice and helping relationships, she aspires to work as a community worker.

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