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Standouglas pennstation

Fondation

Introduction – 451, rue Saint-Jean

La Fondation PHI pour l’art contemporain présente l’exposition Stan Douglas : Dévoilements narratifs où l’on peut voir deux séries photographiques majeures de l’artiste Stan Douglas. Elle présente en première canadienne la toute dernière série photographique de l’artiste, Penn Station’s Half Century (2021), ainsi que la série Disco Angola (2012), qui n’a jamais encore été exposée au Québec. Stan Douglas est né à Vancouver en 1960, il y vit et y travaille depuis. Sélectionné pour représenter le Canada à la Biennale de Venise en 2022, l’artiste est l’un des plus respectés de notre pays à l’échelle internationale.

Depuis plus de trente ans, le travail de Stan Douglas s’attache à explorer l’image: ses processus de fabrication, ses langages esthétiques et ses dynamiques de pouvoir. Par l’intermédiaire d’installations photographiques et vidéographiques, de films, de la télévision, du théâtre, d’applications mobiles et de nombreuses autres technologies numériques, il propose des reconstitutions de moments décisifs de l’histoire culturelle, sociale et politique pour illustrer des récits multiples et divergents dans les moindres détails. (site web)

En réimaginant et en recréant des scènes historiques à partir de ses recherches dans les archives et par ses photographies numériques mises en scène, l’artiste s’intéresse au médium photographique, en soulevant de nombreuses interrogations au sujet de sa soi-disant authenticité, en particulier en remettant en question la relation entre le documentaire et la vérité objective.

G1 – Disco Angola

La série Disco Angola repose sur la figure fictive d’un photo journaliste vivant à New York dans les années 1970, un habitué de la scène disco émergente qui fait des allers-retours en Angola pour couvrir la guerre civile. Les œuvres de la série sont datées de 1974 et 1975, une période critique de l’économie politique mondiale, marquée par une crise pétrolière, un krach boursier et des relations de plus en plus tendues entre les États-Unis et l’Union soviétique. C’est dans ce contexte historique morose que le disco a émergé. Cet important genre musical inspiré du funk et de la soul a été adopté par les communautés noires, Latinx et queer new-yorkaises comme une expression joyeuse de l’émancipation de l’oppression. L’alter ego de Douglas fait des allers-retours en Angola afin de raconter la lutte du pays pour son indépendance de la domination portugaise.

Douglas a mené des recherches approfondies et s’est basé sur des photographies d’archives, ainsi que des costumes et des décors d’époque, pour créer des «instantanés» de ces lieux. La série Disco Angola consiste en huit très grandes photographies panoramiques, quatre en Angola et quatre à New York, combinées par paires afin de faire ressortir une multitude de contrastes par voie de comparaison.

Dans ses œuvres et dans ses recherches historiques, Stan Douglas est particulièrement intéressé par les périodes où ont cours des changements, des ruptures, moments charnières à la fois sociaux, culturels et politiques.

L’artiste affirme qu’il y a une tendance générale dans son travail à tenter d’observer des moments de transition dans l’histoire où quelque chose de crucial se passe en ce qui a trait au développement de la société. Fréquemment, comme il le précise, son intérêt réside dans une certaine forme de rupture.

Les deux photographies dans l’espace G1, intitulées Checkpoint, 1975, et Coat Check, 1974, en sont un bel exemple. Tout d’abord, l'œuvre Checkpoint nous amène à un point de contrôle en Angola, en 1975, année charnière entre la célébration de l’indépendance fraîchement acquise et le déclenchement d’une guerre civile. Dans un paysage aride où est installé un poste de contrôle, on aperçoit des véhicules militaires et des soldats, des objets hétéroclites, dont un réfrigérateur, et une corde qui s’étire de part et d’autre d’une route non pavée.

En 1974, la révolution des œillets qui renverse le régime dictatorial de Salazar au Portugal, marque le début de nouvelles relations entre Lisbonne, la métropole, et les mouvements de libération de l'Angola. L'indépendance angolaise est alors négociée et officiellement fixée au 11 novembre 1975. Des divisions entre les différentes factions entraînent toutefois une guerre civile. L’année 1975 est donc une année charnière marquée tour à tour par la rupture, l’euphorie, puis le désenchantement : l’espoir de la libération de l’oppression coloniale, mais une indépendance qui mènera à des décennies de guerre civile.

Coat Check, 1974, nous transporte à New York dans un autre contexte historique, lui aussi morose, la ville étant à cette époque au bord de la faillite et dangereuse. Dans cet environnement sombre, les clubs disco offrent un exutoire et un refuge. À New York, l’arrivée du disco procure à des groupes marginalisés un mode de libération et d’expression passant par la musique, la danse et la mode. Le disco puise ses racines dans la musique d’ascendance africaine qui nous transporte et nous entraîne à danser.

G2 – Disco Angola

Les œuvres Exodus, 1975, et Club Versailles, 1974 nous donnent à voir une chorégraphie collective des corps, leur langage en tant qu’expression et mise en lumière de ces moments historiques de rupture et de transition.

Basé sur des images d’archives, Exodus, 1975, nous montre les corps résignés et pensifs de colonisateurs portugais au port de Luanda, en attente de leur évacuation de l’Angola, valises et caisses à leurs côtés, alors que le pays amorce son indépendance. Dans cette scène recréée par Douglas, ils portent des vêtements des années 70. Cette photo suggère la guerre civile qui plane sur le territoire angolais et qui commencera après le départ des Portugais. Les affrontements dureront plusieurs décennies, soit de 1975 à 2002. C’est un moment suspendu entre deux mondes, l’un colonisé et l’autre décolonisé. Les corps sont affalés, incertains de leur sort, abattus par le poids de ce qui s’en vient et celui de l’inconnu, troublés par le temps qu’ils ont pour méditer sur le passé colonial et leur implication dans cette entreprise.

L’année de la photographie Club Versailles, 1974, nous indique que nous sommes aux débuts du mouvement disco. Cette piste de danse offre un espace propice à la mixité où les personnes noires, Latinx et queer, rassemblées en une communauté nocturne et provisoire, laissent libre cours à leur flamboyance et à l’euphorie de la danse. La photographie a une qualité improvisée et un style instantané, ce qui souligne le caractère enivrant et éphémère de la scène. Cette image évoque magnifiquement l’exutoire explosif de la scène disco émergente pour les communautés opprimées dans le New York de l’époque.

G3 – Disco Angola

Dans les œuvres A Luta Continua, 1974, et Two Friends, 1975, la chorégraphie des corps se poursuit. L’œuvre A Luta Continua met en scène une femme posant devant un mur de béton qui porte des slogans politiques révolutionnaires, dont “la luta continua”, “la lutte se poursuit”. On voit, peints sur le mur, le drapeau et le logo du Movimento Popular de Libertação de l’Angola (le Mouvement populaire pour la libération de l'Angola), un des groupes belligérants impliqués dans la guerre civile. Il n’est pas aisé de déchiffrer les états d’âme de cette jeune femme, il y a une ambiguïté propre à sa posture et à son expression faciale : est-elle désenchantée? Défiante? Réticente? Stoïque? Perplexe? A Luta Continua, tout comme Coat Check, 1974, Check Point, 1975, et Exodus, 1975, nous offre un moment flottant d’entre-deux, d'indétermination : dans le corps de la jeune femme se côtoient à la fois la flamboyance comme énergie d’extraversion et d’expression identitaire et un mouvement vers l’introversion.

En comparant l’image de la femme angolaise dansA Luta continua, 1974, à celle de Two Friends, 1975, on peut tisser des parallèles où les impulsions de libération des révolutions postcoloniales en Angola et des boîtes de nuit hédonistes des années 70 se voient opposer des forces de résistance. Dans Club Versailles, 1974, et Coat Check, 1974, l’artiste nous donnait à voir l’effervescence du disco émergent. Ici, nous voyons ces « deux amis », un homme et une femme, assis en retrait de la piste de danse, probablement des nouveaux venus sur la scène disco de l’époque. Ils sont à la fine pointe de cette mode. Toutefois, leurs expressions et leurs postures sont blasées et stoïques. Qui sont ces deux personnes? Sympathisants à la cause des fêtards marginalisés? Unis par une relation d’amitié? Ou bien un couple désenchanté annonçant la commercialisation grandissante du disco.

G4 – Disco Angola

En Angola, durant les conflits pour la libération de l’Empire colonial, la danse est également présente et offre une occasion de répit et d’expression. Dans la photographie Capoeira, 1974, on peut voir des soldats rebelles encerclant deux camarades en train de réaliser la capoeira. Celle-ci a été créée au 16e siècle par des populations d’Afrique de l’Ouest emmenées de force par les colonisateurs portugais et contraintes à l’esclavage au Brésil. Forcées de renoncer à leurs traditions culturelles et à leurs arts martiaux, elles ont pu contourner cette interdiction grâce à la capoeira, pratiquée en secret. Avec ses photos, l’artiste met en lumière le rôle des mouvements de danse et de la musique dans l’affirmation et l’expression de l’identité des communautés marginalisées de New York et de celle du peuple d’Angola.

Douglas, intéressé par cette migration particulière, affirme que son fantasme était de voir ce qui arriverait si des combattants venus de l’Amérique du Sud arrivaient en Angola, en passant par Cuba, et montraient à la population locale une danse inconnue qui serait en fait la leur.

Dans l'œuvre Kung-Fu Fighting, 1975, on voit un jeune homme répétant une routine de danse basée sur les mouvements inspirés par les arts martiaux dans un club disco désert, mis à part un jeune homme qui le regarde. Tout comme Capoeira, 1974, cette œuvre offre le spectacle de celui qui observe, en marge de l’espace central où a lieu la performance. Dans Capoeira, les deux combattants qui s’affrontent sont encouragés et acclamés par leurs pairs soldats rebelles. Dans Kung-Fu Fighting le jeune homme est indolent, avachi et immobile dans son siège, il semble distant, méfiant et sceptique, mais également attiré, fasciné par l’énergie et la virtuosité de ce qu’il regarde. L’artiste nous montre les politiques d’appropriation et de migration de ces danses, de ces combats et du mouvement disco : la capoeira, pratiquée en secret par les Africains de l’Ouest contraints à l’esclavage au Brésil, puis revenue en Angola; puis la musique disco, qui puise ses racines dans la musique d’ascendance africaine.

Introduction – 465, rue Saint-Jean

Depuis la fin des années 1980, la photographie constitue le point central de la pratique de Stan Douglas. La série Penn Station’s Half Century (2021) représente son exploration la plus ambitieuse du médium à ce jour. Intégrant à la fois les technologies de génération d’images par ordinateur et la photographie mise en scène, la série explore la manière dont l’histoire se manifeste dans des lieux particuliers et à des moments transitoires dans la société.

Cette série est une commande de l’Empire State Development en partenariat avec Public Art Fund dans le cadre de l’inauguration de la nouvelle gare Moynihan Train Hall à New York. Elle s’intéresse à la vie de l’ancienne station ferroviaire new yorkaise Pennsylvania Station — depuis son inauguration en 1910, jusqu’à sa démolition en 1963 afin de faire place au Madison Square Garden — à travers neuf photographies organisées en quatre panneaux thématiques pour la nouvelle gare.

Afin de sélectionner les moments historiques qu’il désirait recréer, Douglas a engagé une archiviste qui a épluché des milliers d’articles de journaux et de périodiques de l’époque pour repérer ceux qui mentionnaient Penn Station. Du nombre total, l’artiste a choisi au final neuf journées qui se sont déroulées à la station entre 1914 et 1957.

Ces neuf scènes historiques ont été recréées par Douglas durant un tournage de quatre jours à Vancouver, au cours duquel plus de quatre cent acteurs et actrices ont été numérisé·e·s et habillé·e·s en costumes d’époque, avant d’être photographié·e·s en format numérique. Les éléments architecturaux ont été recréés par un processus minutieux et intensif de génération d’images par ordinateur en post-production.

G6 – Penn Station’s Half Century

Le premier panneau thématique de Douglas dans l'exposition consiste en trois représentations de la salle d’attente de Penn Station à l’aube du 20 juin — jour du solstice d’été — lors de différents années réparties tout au long du demi-siècle d’existence de la station ferroviaire.

Le 20 juin 1930, les visiteurs et visiteuses ont pu contempler à Penn Station un avion trimoteur de pointe, installé au centre de l’espace afin de promouvoir le Trans World Airlines (TWA), une compagnie aérienne américaine de l’époque. Celle-ci offrait un nouveau service qui reliait New York et Los Angeles en combinant des trajets en train et en avion. Dans un coup de publicité, l’avion avait été baptisé en 1929 par la célèbre aviatrice Amelia Earhart.

Le 20 juin 1944, la salle d’attente de la station arborait six immenses affiches — chacune mesurant environ quarante pieds sur vingt-cinq — qui honoraient la contribution du chemin de fer à l’effort de guerre. Organisées par le designer industriel Raymond Loewy, et financées par le Works Progress Administration, les affiches représentaient un chef de train, un porteur de bagages à la casquette rouge, un ingénieur, un soldat, un marin et un militaire.

Finalement, le 20 juin 1957 — seulement quelques années avant la démolition de la station ferroviaire d’origine — la salle d’attente arbore une nouvelle billetterie dont l’architecture moderne est inspirée de l’esthétique de l’aéroport LaGuardia. Ayant pour but de simplifier le processus d’achat de billets, cette billetterie causait plutôt de la confusion, ce qui, d’une certaine façon, marquait la montée en popularité des voyages par voie aérienne et le déclin des voyages en train qui allait entraîner la disparition de la gare.


Stan Douglas affirme que Penn Station a eu un effet tout aussi profond sur la psychogéographie de la ville de New York que sur sa géographie physique. La psychogéographie décrit les effets d’un lieu géographique sur les émotions et le comportement des individus.

G5 – Penn Station’s Half Century

Un des diptyques dans l’espace G5 met en scène deux événements distincts qui ont eu lieu dans la cage d’escalier de Penn Station le 22 avril 1924 et le 7 août 1934, respectivement. Dans le premier tableau, une foule envahit la gare afin d’être témoin de l’arrestation de Celia Cooney qui, en compagnie de son mari, vivait de vols de banque et de petits larcins. Son allure et ses jolis atours lui ont valu le surnom de “Bobbed Hair Bandit” (la voleuse aux cheveux courts). Elle est devenue une figure culte pour bon nombre de gens.

Le deuxième panneau du diptyque nous donne à voir la libération d’Angelo Herndon, un activiste noir pour les droits des travailleurs. Arrêté pour possession de littérature communiste, Herndon est par la suite condamné pour insurrection en vertu d’une obscure loi datant de l’époque de la Reconstruction. Il purgera sa peine pendant deux ans avant d’être libéré en vertu d’une caution de 15 000 $ amassée par ses nombreux supporteurs à coup de petits dons. À son arrivée à New York, le martyr Herndon est acclamé par de multiples sympathisants.

En ce qui concerne le deuxième diptyque, il illustre un moment de l’année 1914 à Penn Station. Dans la soirée du dimanche 1er mars 1914, une forte tempête paralyse la ville de New York, bloquant le trafic ferroviaire et confinant de multiples voyageurs à Penn Station, un carrefour reliant de multiples destinations. Parmi les voyageurs laissés en plan se trouvaient un grand nombre d’artistes de vaudeville, qui changeaient habituellement de lieux de spectacles les dimanches et lundis avant de débuter une nouvelle semaine de représentations. Avant l’arrivée des films muets en 1915, les arts de la scène et les arts vivants étaient la principale source de divertissement de masse pour plusieurs Américains.

Remarquant la richesse et la diversité du talent réuni dans la station, le comédien Bert Williams décide d’organiser un spectacle improvisé pour le petit groupe de spectateurs présents, en compagnie de grands noms de l’époque tels que la Florenz Troupe, les jongleurs Joseph et Mary Blank, les duos populaires Kate Elinore et Sam Williams, ainsi que Joseph Howard et Mabel McCane. Dans ce tableau, un groupe de saxophonistes (The Six Brown Brothers) jouent en haut de l’escalier, alors que des acrobates effectuent leur routine au premier palier. Un peu plus bas, d’autres artistes de la scène observent, font une sieste, mangent, ou attendent de se produire à leur tour.

G5 – Penn Station’s Half Century

Nous voilà maintenant devant le dernier diptyque de l’exposition. Dans l’une des photographies, Douglas rend hommage à Penn Station telle quelle était au début des années 1940, alors qu’elle représentait un carrefour névralgique pour les soldats enrôlés qui devaient se rendre à leur lieu d’entraînement ou de déploiement. Témoin des émouvants et déchirants ‘au revoir’ de centaines de milliers de militaires et de leurs proches, la station fait figure d’emblème dans l’imaginaire collectif des Américains en temps de guerre.

Dans l’autre photographie du diptyque, l’architecture iconique de Penn Station est devenue si ancrée dans le paysage culturel américain qu’elle occupe une bonne place dans l’intrigue du film de 1945 The Clock du réalisateur Vincente Minnelli, mettant en vedette Judy Garland et Robert Walker. Pour ce film, la production avait construit une réplique de la salle d’attente de Penn Station dans un studio MGM à Los Angeles. C’est cet espace que Douglas a recréé ici, parsemé d’accessoires, d’équipements d’éclairage, et peuplé d’une poignée d’employés de la production.


En combinant les techniques traditionnelles du cinéma et les nouvelles technologies, Douglas élargit l’espace expérientiel de la photographie dans Penn Station’s Half Century. Tout comme il le note lui-même, un demi-siècle a été plus que suffisant pour observer l’influence de Penn Station, en tant qu’espace social, sur la vie des gens de New York et d’ailleurs.