Le féminisme contemporain connaît une transformation importante et est réexaminé dans divers cercles qui explorent des manières progressistes d’aimer [1], d’exister et d’évoluer. L’émancipation est passée des questions liées aux droits reproductifs aux idées concernant les relations, la procréation, la famille et l’amitié. Le corps sensible est au cœur de ces enjeux et, à l’échelle mondiale, les mouvements pour les droits des femmes revendiquent le contrôle sur leurs corps, luttant pour la propriété et l’agentivité afin de réaliser une révolution véritable féministe et de renverser le patriarcat et son regard masculin [2]. Les convictions concernant la parentalité et son impact sur le soi sont sujettes à débat et remettent en question les notions d’autonomie et d’indépendance. Par exemple, plutôt que de trouver une raison d’être en la maternité, celle-ci peut être trouvée à travers l’autonomie corporelle. De plus, l’accès à la liberté et au plaisir sexuel [3], sans craindre les conséquences reproductives, fait également partie de ces réflexions.
Désobéissances sensibles est un programme de vidéos qui explorent l’histoire de l’art et les pratiques féministes qui l’ont marquée. Ces vidéos sont mises en parallèle avec des œuvres vidéo contemporaines d’artistes québécois·e·s. Le programme se concentre sur l’utilisation du corps pour remettre en question les rôles et les décisions qui nous sont imposés. Comment pouvons-nous atteindre la liberté? Ces œuvres situent le féminisme dans une quête de sa nouvelle vague, où politique et émotion coexistent à travers le corps sensible.
Dans ce programme, l’acte de performance permet au corps de s’affranchir pour atteindre l’autonomie, en explorant des thèmes tels que les droits reproductifs, la liberté sexuelle, le passage du temps, la sensualité et l’amour. La première partie propose une sélection d’artistes ayant marqué l’histoire de l’art contemporain à travers leurs œuvres vidéo, incluant Carolee Schneemann et Ana Mendieta, ainsi que leurs pairs A.K. Burns, Ellen Cantor, Lynne Sachs, Aki Sasamoto et Luna Scales. Cette partie du programme fait écho à des moments historiques, tels que la censure de l’art de la performance à Singapour de 1994 à 2004 [4], qui a soulevé la question de l’«obscénité» dans l’art. Cet exemple illustre les restrictions créatives imposées à l’utilisation du corps dans certaines régions du monde. Ce premier volet se conclut avec Contractions de Lynne Sachs, qui attire notre attention sur l’arrêt Roe v. Wade de 1973 aux États-Unis – protégeant les lois sur l’avortement jusqu’en 2023 – et rappelle que l’avortement reste illégal dans de nombreuses parties du monde.
La deuxième partie du programme débute avec Paramour [5] de Geneviève Cadieux, qui met en scène une division entre un homme et une femme. Leurs voix et leurs désirs, déconnectés dans le temps et l’espace, établissent une distance entre elleux-mêmes et le public. Cette œuvre est marquante par le langage visuel unique que développe Cadieux, alliant force, vulnérabilité et détachement pour explorer la complexité des relations, de l’existence, de l’amour et de la sensualité. Ces forces et sensibilités se retrouvent dans le reste du programme: Aki Sasamoto présente, dans Do Nut Diagram, une performance nonchalante mais énergique, puissante et maîtrisée, qui explore le passage du temps, tout en établissant un lien avec le public. Dans Hubba Hubba, Nadège Grebmeier Forget adopte une attitude indolente, mâchant de la gomme docilement et performe exagérément devant la caméra pour refléter la mode passagère de clichés en ligne, considérés comme des canons de beauté. La grève des pondeuses de 2028 d’arkadi lavoie lachapelle est une fiction futuriste qui pourrait révéler l’avenir de la fertilité. Mechanics of Touch de Bettina Hoffmann est une pièce sensible et poétique sur le toucher, qui évoque la familiarité et le confort des gestes et de la proximité. Dans Surface Depth, Nina Vroemen réinvente le mythe de Narcisse en le sensualisant, tout en nous reconnectant à la nature et à la réalité queer, et en remettant en question la fixité de ce que signifie être un corps.
Enfin, en tant que commissaire et ancienne artiste, le thème du féminisme occupe une place importante dans mon travail. C'est pourquoi j’ai inclus l’œuvre vidéo Control, qui faisait partie de ma pratique passée en tant qu’artiste, où j’explorais la présence de l’érotisme dans la vie quotidienne. Cette exploration me semblait essentielle pour continuer à comprendre ce qui constitue l’indépendance et le plaisir, en tant que vision et choix. Ce programme continuera d’évoluer avec des contributions d’œuvres vidéo d’artistes locaux·ales et nationaux·ales lors de la prochaine itération en 2024-2025.
Ce programme est dédié à toutes les personnes s’identifiant comme femmes, qui luttent pour leurs droits et qui ont vécu des restrictions limitant leur qualité de vie, imposées contre leur volonté.
– Victoria Carrasco
Gestion des galeries et commissaire adjointe – Programmes publics
[1] Simon(e) van Saarlos, Playing Monogamy, traduit du néerlandais vers l’anglais par Liz Waters, Rotterdam, Publication Studio, 2019.
[2] Susan Sontag, « The Double Standard of Aging », On Women, Picador, 2023, p. 3-39.
[3] Le plaisir sexuel est abordé dans une autre œuvre de Carolee Schneemann, intitulée Fuses (1964-1967). Ce film expérimental de 30 minutes montre l’artiste et son partenaire ayant des rapports sexuels en tant qu’égaux. Fuses a été censuré à plusieurs reprises et est devenu une référence controversée ainsi qu’une source d’inspiration pour les cinéastes et les artistes.
[4] La censure a été imposée après la performance Brother Cane (1993) de l’artiste Joseph Ng, durant laquelle il se coupait des poils pubiens.
[5] Présentée à l’origine sous forme d’installation audiovisuelle, Paramour (1998-1999) sera montrée exceptionnellement sous forme de projection dans le cadre de ce programme.