AUDIOGUIDE
Conditions d’utilisation
• Conditions d’utilisation: Introduction
• G1: Francisco González-Rosas, Nico Williams
• G2: VahMirè (Ludmila Steckelberg), Ilana Yacine Harris-Babou
• G3: Nation to Nation, Skawennati, Dara Birnbaum, Brendan Fernandes
• G4: Mara Eagle, Shanie Tomassini
• G5: Wu Tsang
• G6: Chun Hua Catherine Dong
• G7: Helena Martin Franco
• Entrée - 465, rue Saint-Jean: Quentin VerCetty
• Conditions d’utilisation: Conclusion
Conditions d’utilisation: Introduction
Cheryl Sim: Bonjour, je m’appelle Cheryl Sim et je suis la commissaire et directrice générale de la Fondation PHI.
Daniel Fiset: Je m’appelle Daniel Fiset et je suis le Commissaire adjoint à l’engagement de la Fondation PHI. Ensemble, nous avons organisé l’exposition Conditions d’utilisation.
CS: La Fondation PHI pour l’art contemporain est un organisme culturel à but non lucratif qui se consacre à la présentation d’expériences percutantes en art contemporain.
DF: Chaque année, nous présentons deux ou trois expositions d’envergure, un programme dynamique d’événements publics et un programme éducatif avant-gardiste.
CS: Tous ces programmes sont offerts gratuitement afin de souligner notre volonté de briser les perceptions bien ancrées de ce qu’est l’art et à qui il est destiné, afin d’affirmer que l’art est pour tout le monde et fait partie de notre vie quotidienne.
DF: Ensemble, nous vous guiderons à travers l’exposition, et partagerons quelques points d’entrée et idées sur chacune des œuvres exposées.
CS: À bien des égards, Conditions d’utilisation est né de la lecture d’une série de conférences données en 1989 par Ursula Franklin, intitulée The Real World of Technology. Elle m’a ouvert les yeux sur la signification réelle de la technologie, expliquant que celle-ci a toujours fait partie de l’existence humaine et qu’elle n’est pas uniquement définie par la notion de haute technologie ou de nouvelle technologie. Ses réflexions m’ont aussi aidée à comprendre que les technologies peuvent être possédées, contrôlées et régies par un ensemble dominant de règles et d’intérêts qui, à défaut d’être contrôlés, peuvent laisser la plupart d’entre nous sur la touche. Ces idées m’ont amenée à regarder le travail des artistes à travers cette lentille, et j’ai pensé qu’étant donné tes intérêts de recherche, Daniel, tu aimerais peut-être te joindre à moi pour organiser cette exposition.
DF: J’ai été enchanté de recevoir ton invitation à co-organiser cette exposition, Cheryl, car la technologie a été un thème récurrent de ma recherche doctorale, qui portait sur la photographie contemporaine et la philosophie de la technologie. Cet intérêt très spécifique a débordé, dans un sens plus large, sur mon travail d’éducateur et de travailleur culturel, et le terme est devenu un concept clé pour réfléchir de manière critique et communautaire à toutes les choses que nous faisons aujourd’hui en tant que citoyen.ne.s, travailleur·euse·s, membres d’une famille, ami·e·s et amoureux·euses. Il semblait nécessaire, dans ce contexte, de déloger la technologie de ses applications uniquement hi-fi et hi-tech, et de l’imaginer plus largement comme un moyen de nous aider à entrer en contact avec le monde. La technologie est avant tout un outil, alors comment l’utiliser ? Et, en contrepartie, comment nous utilise-t-elle?
CS: Pour moi qui suis critique du fétichisme technologique, Glitch Feminism : A Manifesto de Legacy Russell a été une révélation capitale, me montrant que les espaces en ligne peuvent être des lieux d’émancipation. Avec tous ces thèmes à l’esprit, le processus de sélection des artistes s’est déroulé sans heurts – nous étions tout à fait en phase avec notre désir d’avoir une pluralité de voix et d’approches qui soit aussi intergénérationnelle. Et ce que nous découvrons tout au long de l’exposition, ce sont des œuvres qui révèlent, comme tu le dis si bien, «les sentiments complexes générés par les interactions quotidiennes avec des technologies à la fois festives et critiques : entre les possibilités de se connecter et d’imaginer d’autres espaces, et la pression constante de se produire dans et pour ces espaces».
DF: L’une des choses qui ressortent de cette exposition est une forme profonde d’ambivalence à l’égard des applications contemporaines de la technologie – une tendance que j’ai souvent notée dans des conversations avec des artistes qui admettent directement travailler de manière «technologique» ou des artistes qui se sentent « obligés » de travailler dans ce cadre. Dans certains cas, les artistes de l’exposition semblent enthousiasmés par les possibilités formelles et pratiques d’une technologie. Ils l’exploitent pour offrir des images impossibles à obtenir autrement, en savourant ses aspects glitchy ou lissants, ou en exploitant sa capacité à élargir et à modifier les façons dont nous nous représentons nous-mêmes et nos communautés. La technologie devient un moyen de réimaginer et de réinventer nos identités, quelque chose de très similaire à ce qui est exprimé dans le magnifique Glitch Feminism de Legacy Russell. À d’autres moments, les artistes suggèrent que la technologie contemporaine est une prison douce; une grille malléable qui nous contrôle et nous lie avec une colle qui se diffuse lentement, et nous enlise. La technologie semble uniquement au service de quelque chose de plus puissant qu’elle – le capitalisme tardif, souvent surnommé «capitalisme numérique», et les violences persistantes du colonialisme et de l’extractivisme. Cette ambiguïté et cette dichotomie sont continuellement présentes dans Conditions d’utilisation, et très souvent dans les œuvres elles-mêmes.
Cheryl: Commençons donc par entrer dans G1, la salle du premier étage de l’immeuble, au 451 Saint-Jean.
G1: Francisco González-Rosas, Nico Williams
DF: Nous voici donc dans l’espace G1, qui sert de point d’entrée à l’exposition. Les deux œuvres que nous avons sélectionnées pour cette salle mettent admirablement bien en évidence certains de ses thèmes clés. Le public est accueilli par Dismembered Fixations, une installation vidéo et sculpturale de grand format à cinq canaux de Francisco González-Rosas. Cette œuvre dense et riche prend comme point de départ des images de l’artiste en performance. Un grand mur a été recouvert d’un papier peint à motifs créé par González-Rosas – obtenu à partir de différents scans du corps fragmenté et tordu de l’artiste –, tandis que la vidéo le montre en train de lire un script qui mêle harmonieusement la théorie critique et les phrases d’accroche empruntées à « Ru Paul’s Drag Race » ou Paris Is Burning. Dismembered Fixations est un commentaire vif et acéré sur la médiatisation et la performativité de la culture queer de ces dernières décennies, en particulier lorsqu’elle est formatée par le docu-réalité. Le corps de l’artiste semble également aux prises avec la représentation dans l’œuvre – dans une lutte pour le pouvoir, ou le contrôle des normes et des codes du portrait.
Une autre œuvre présentée dans cette salle contrebalance l’échelle de la proposition de González-Rosas. Cette sculpture perlée de Nico Williams s’intitule Special Delivery. Il s’agit d’une boîte d’expédition d’Amazon méticuleusement perlée à la main, avec tous ses détails ordinaires : un morceau de ruban d’emballage taché de graisse, les textures variées du carton ondulé et une étiquette d’adresse. Cette pièce est emblématique de la pratique de Williams, où le perlage autochtone rencontre les objets du quotidien. Le travail minutieux nécessaire à la réalisation de l’œuvre offre un contraste saisissant avec le travail le plus souvent invisibilisé qui est nécessaire au fonctionnement d’un conglomérat comme Amazon : il offre une relecture d’un objet qui est devenu si banal dans nos vies que nous ne prenons pas le temps de considérer sa matérialité – ni, plus généralement, ses impacts considérables sur le monde qui nous entoure.
À présent, prenons l’escalier principal menant à G2, la salle du deuxième étage.
G2: VahMirè (Ludmila Steckelberg), Ilana Yacine Harris-Babou
CS: Nous voici donc au deuxième étage, et nous entrons maintenant dans l’espace sombre d’une installation de VahMirè intitulée Dé[faroucher] qui se traduit librement par Un[wilding]. VahMirè est originaire du Brésil, et cette œuvre fait écho à son expérience d’adaptation à la vie et à l’existence à Montréal, une expérience pleine d’ambivalence. Dans le cadre d’un processus de réconciliation avec sa propre place dans la ville, l’artiste a identifié six lieux qui semblaient lui procurer un sentiment d’appartenance. La technique utilisée ensuite pour capturer des images de chaque lieu a été la photogrammétrie. Il s’agit d’un processus d’extraction d’informations à partir de photos bidimensionnelles qui peuvent ensuite être transformées en objets ou environnements tridimensionnels. En se servant du logiciel informatique requis pour cette opération, VahMirè a découvert un bogue qui donne aux environnements sélectionnés un aspect étrangement déconstruit exprimant mieux la poétique de son vécu dans cette ville et cette culture. Dans chacun des lieux sélectionnés se trouve un scan 3D du corps de l’artiste, que VahMirè qualifie d’ « allégories » par opposition à des avatars. Ces allégories paraissent monumentales dans l’environnement et témoignent du désir de l’artiste d’avoir un pouvoir d’action dans ces lieux. En même temps, l’allégorie est assez fixe et rigide, ce qui, pour moi, évoque à nouveau l’ambivalence de la sensation d’être chez soi dans ces espaces. La bande sonore d’oiseaux modifiée par l’artiste apporte à l’œuvre une autre couche d’étrangeté sensorielle. La composante audiovisuelle de l’installation est proposée sous deux formes : une projection vidéo et une expérience de réalité virtuelle à laquelle on accède par un ensemble désorientant de rubans colorés qui sont disposés dans la salle elle-même. Dans l’autre partie de l’espace, des éléments de l’œuvre nous sont présentés sous une autre forme, à travers des impressions 3D et textiles. J’aime la façon dont VahMirè se sert de différentes technologies pour activer mon interprétation de l’œuvre, ainsi que les sentiments complexes que celle-ci exprime. Ces approches montrent comment la technologie est un appareil qui nous oblige à nous situer, à jouer avec les bogues, à mettre le corps en relation avec l’appareil – comme dans l’installation de González-Rosas – et comment elle offre un aperçu des expériences de migration et d’existence diasporique.
Daniel: L’espace en alcôve de G2 accueille Decision Fatigue, une vidéo d’Ilana Yacine Harris-Babou. Créée en collaboration avec la mère de l’artiste, l’œuvre parodie un tutoriel de maquillage, un genre de vidéos désormais omniprésent dans l’écologie de YouTube. Elle y parvient en suivant une routine surréaliste de « beauté propre », qui commence par le nettoyage d’un miroir et se termine par l’application de la poudre de Cheetos moulue comme un masque facial.
Les tutoriels de beauté occupent une position intéressante dans la culture contemporaine et révèlent la manière dont le soin de soi a été relié aux logiques du capitalisme tardif. D’une part, ils offrent un espace de libération parfois ludique, en particulier lorsqu’il s’agit de l’expression des normes de genre. D’autre part, ils invitent à la surconsommation de biens matériels qui offrent « supposément » aux utilisateurs une meilleure version d’eux-mêmes, et ils encouragent la monétisation de tous les aspects de nos vies, y compris les plus intimes. La vidéo de l’artiste fait aussi état de la pression que subissent les personnes s’identifiant comme femmes alors qu’on leur demande de performer le care, pour soi ou pour d’autres (notamment pour leurs enfants).
Maintenant, montons l’escalier principal jusqu’à G3, la salle du troisième étage.
G3: Nation to Nation, Skawennati, Dara Birnbaum, Brendan Fernandes
CS: En entrant dans l’espace G3, la salle du troisième étage, nous découvrons une pièce emplie de lumière naturelle, avec des plantes, deux vitrines et une grande table ronde sur laquelle sont posés trois ordinateurs datant de la fin des années 1990. En s’asseyant devant un ordinateur, on peut faire l’expérience de la réactivation d’un projet appelé CyberPowWow. Ce projet a été conçu en 1996 par l’artiste Skawennati et produit par Nation to Nation, un collectif d’artistes autochtones établi à Tiohti:áke/Mooniyang/Montréal, cofondé par Skawennati, Ryan Rice et Eric Robertson en 1994. À l’aide d’un logiciel de clavardage appelé The Palace, ce projet a permis aux artistes de créer des salles de clavardage graphiques personnalisées, dans lesquelles les visiteur·euse·s pouvaient interagir en temps réel. Entre 1997 et 2004, 24 artistes alliés, autochtones et non autochtones, ont été invité·e·s par Nation to Nation à créer ces salons de discussion graphiques. Comme pour les installations artistiques immersives, les visiteur·euse·s pouvaient entrer et explorer ces espaces en ligne tout en discutant avec d’autres visiteur·euse·s sous la forme d’avatars qui pouvaient également être personnalisés. Pour de nombreux artistes, c’était la première fois qu’ils créaient une œuvre numérique pour un environnement immersif en ligne, et il y avait aussi beaucoup de monde qui, grâce à CyberPowWow, vivait l’art de cette manière pour la première fois. Ce projet innovateur, qui explorait l’internet comme un espace de souveraineté autochtone, est devenu un précurseur du métavers et de la RV en général.
Comme l’a écrit le chercheur et universitaire Mikhel Proulx, CyberPowWow «a été l’une des premières expositions d’art sur Internet et reste la plateforme d’art numérique la plus étendue réalisée par des artistes autochtones». Cette œuvre est accompagnée d’un machinimagraphe, qui représente le propre avatar de Skawennati, né de CyberPowWow. Le terme «machinimagraphe», qui a été inventé par Skawennati, fait référence à une image capturée dans les scénarios virtuels qu’elle crée depuis 2010.
À l’extérieur de la salle de CyberPowWow, les visiteur·euse·s peuvent prendre place dans une salle sombre disposant de deux sièges faisant face à un écran de télévision sur lequel on peut voir l’œuvre vidéo de Dara Birnbaum, réalisée vers 1978 et intitulée Technology/Transformation: Wonder Woman. Fruit d’un montage de clips de la série télévisée américaine Wonder Woman des années 1970 et d’une chanson disco de Wonder Woman, cette œuvre reste l’une des lectures féministes les plus prenantes de la télévision, un moyen de représentation technologique qui a le pouvoir immense de façonner la perception et de refléter les normes et les inquiétudes sociétales. Clairement révolutionnaire, ce travail d’appropriation d’images issues de la culture populaire anticipe aussi la technique de réappropriation utilisée pour créer le mème moderne.
En quittant cette salle, nous passons devant l’ascenseur et nous dirigeons vers l’alcôve pour voir la documentation vidéo de The Left Space, une performance de Brendan Fernandes. Il s’agit d’un excellent exemple de la façon dont les artistes s’approprient les technologies pour faire des choses qui n’étaient pas prévues à l’origine, en repoussant leurs limites, en trouvant les failles et en déployant de nouveaux territoires d’expression. Fernandes a utilisé Zoom, le logiciel de vidéoconférence, et des webcams comme outils de représentation et de rassemblement, ainsi que des toiles de fond personnalisées du graphiste Jerome Harris devant lesquelles un groupe de danseur·euse·s a exécuté de multiples séquences chorégraphiées. Commandée à l’origine par le Musée des beaux-arts de l’Ontario lors de la pandémie de COVID-19, cette œuvre a d’abord été présentée uniquement sur Zoom, ses interprètes participant individuellement depuis leur propre espace. Pour cette nouvelle itération, The Left Space a été présentée à la Fondation PHI devant un public physique, et en même temps diffusée en direct sur Zoom, lors de l’événement Nuit blanche de cette année. La chorégraphie présente les danseur·euse·s tendant la main et se faisant mutuellement signe, alors qu’iels interagissent avec des slogans de protestation incorporés dans leurs toiles de fond respectives. Les toiles de fond personnalisées utilisent des motifs historiques significatifs pour raconter des histoires de pouvoir, de camouflage et de résistance. Évoquant un sentiment d’urgence, les motifs «éblouissants», qui étaient peints sur les navires de guerre pour intercepter leur cible, sont associés à des motifs écossais violets et magenta, qui symbolisent à la fois la domination coloniale britannique au Kenya, un avertissement aux prédateurs dans la nature et le clignotement des lumières de la police. Toutes ces strates, prises ensemble, incitent à appréhender de manière plus approfondie le visible et l’invisible, ce qui est cadré et ce qui est non cadré, et la capacité des plateformes en ligne à recréer la solidarité sociale vécue dans les rassemblements physiques.
Grimpons à présent les escaliers jusqu’à G4, la salle du 4ème étage.
G4: Mara Eagle, Shanie Tomassini
DF: L’espace G4 accueille deux projets des artistes montréalaises Mara Eagle et Shanie Tomassini. En entrant dans la salle par l’escalier, le public découvre Unholy Ghost, une installation d’Eagle qui comprend une vidéo mêlant prises de vue réelles et animation 3D, diffusée sur un gigantesque écran de télévision. La vidéo est accompagnée de quatre sculptures de chérubins, baignées de lumière rouge et placées sur un socle triangulaire. Ces chérubins sont en céramique, mais ils ont été imprimés en 3D plutôt que façonnés ou moulés à la main: leurs têtes se tordent comme s’ils regardaient la vidéo en même temps que les visiteur·euse·s de l’espace. Les quatre personnages font écho à un monument funéraire représenté dans la vidéo, marquant ainsi le passage de la représentation 2D à la 3D et inversement.
Dans la vidéo, nous suivons une protagoniste recevant un traitement expérimental à travers un casque RV. L’œuvre offre un récit étrange et troublant de l’expérience de cette protagoniste, où le réel et le virtuel sont indéterminés. L’œuvre s’intéresse aussi à la reproduction en tant que geste clé rendu possible par toutes les technologies qui nous entourent – ces technologies qui sont à la fois le moteur conceptuel du projet d’Eagle et ses conditions formelles. Elles pointent vers un brouillage des frontières entre ce qui est fait par la machine et ce qui est fait à la main.
L’œuvre trouve son contrepoint dans l’installation de Shanie Tomassini, présentée en deux parties dans l’espace. Une première partie de l’installation comporte deux sculptures en béton pulvérisé, qui sont des versions numérisées en 3D et agrandies de petites pièces que l’artiste a fabriquées à la main avec de l’argile. Ce changement d’échelle nous fait ressentir l’accentuation de la touche de l’artiste lorsqu’elle travaille la matière. L’autre installation propose des pièces de céramiques richement décorées. Leur présence fait référence à la théorie des quatre causes d’Aristote, à l’aide de laquelle celui-ci expliquait ce qu’est ou fait une «technologie»: il utilisait une coupe en argent comme objet canonique pour développer son argument.
19 téléphones façonnés à partir d’encens sont placés sur l’installation – un pour chaque semaine de la période d’exposition. Un téléphone sera allumé pendant chaque semaine de l’exposition, brûlant rituellement et laissant la fumée et le parfum planer dans l’espace. Il s’agit d’une métaphore poignante de la technologie comme une sorte de rite sacré – la vie contemporaine ayant fait du téléphone intelligent un objet de dévotion, une nouvelle icône, un guide, un phare de lumière. Mais elle évoque aussi notre désir de laisser ce téléphone brûler entièrement, de le voir disparaître complètement alors que nous essayons de nous débarrasser de la façon dont il nous enchaîne à notre travail et nous contrôle. Cette belle ambivalence est exemplaire de notre relation compliquée avec la technologie – prise entre le plaisir et la douleur de vivre «technologiquement».
CS: Et maintenant, quittons le bâtiment du 451 St-Jean pour nous rendre au 465 St-Jean, juste en haut de la rue.
G5: Wu Tsang
DF: L’espace G5 accueille une imposante installation à deux canaux de l’artiste Wu Tsang, réalisée en collaboration avec l’artiste de performance Tosh Basco. Intitulée The Looks, cette pièce suit une journée dans la vie d’un·e pop-star nommé·e Bliss, que nous rencontrons le lendemain d’une performance dans un club, alors qu’iel se prépare à participer à un événement organisé par un conglomérat technologique appelé Prisme. Des flashs de la performance de la veille se succèdent, tandis que la narratrice de la pièce se demande si les événements sont désormais entièrement conditionnés par la documentation constante que nous en faisons. L’œuvre se termine par une performance flamboyante et intense de Bliss devant les employés du conglomérat, alors qu’une lumière cristalline irradie de sa bouche – une extrapolation de son désir d'être vu·e à tout moment.
G6: Chun Hua Catherine Dong
CS: Entrons maintenant dans l’espace G6, qui est empli de lumière et offre une présentation condensée de trois projets récents de Chun Hua Catherine Dong. À l’entrée de la salle, on aperçoit sur le mur de droite trois photographies de performance de la série Reconnection de l’artiste, où elle porte divers costumes de l’Opéra de Pékin et un casque VR pour effectuer une série de gestes et de mouvements. Alors que l’artiste se trouvait à Charlevoix, au Québec, avec le fleuve Saint-Laurent derrière elle, dans son casque elle contemplait la Grande Muraille de Chine. Cela nous donne déjà une idée de ses tentatives pour relier les mondes par la technologie et par son propre corps, ce qui est une technologie en soi.
Face à la série de grandes fenêtres, nous retrouvons son installation vidéo RV multicanal Meet me Halfway. Des bandes de couleur servent de toile de fond à de grands moniteurs à écran plat montés verticalement, qui présentent la documentation d’une expérience de réalité virtuelle que l’artiste a réalisée pendant la pandémie de COVID-19. Le mélange d’abstraction, de figuration et de couleurs pop se fonde sur ses propres souvenirs d’enfance. Se perdre dans ce travail de RV lui a permis de trouver du réconfort dans une période de séparation et d’isolement.
Sur le mur opposé aux photographies se trouve un autre projet de RV appelé Mulan. Mulan est une héroïne populaire chinoise qui, selon la légende, s’est déguisée en homme pour prendre la place de son père vieillissant dans l’armée. Son succès lui vaut la gratitude de l’empereur, qui lui offre un poste élevé, mais elle décide de retourner dans sa ville natale où elle révèle sa véritable identité. Dans cette création RV, l’interprétation de Mulan par l’artiste est associée à sa fascination pour le «nudibranche», un organisme hermaphrodite coloré qui vit dans les profondeurs de l’océan. En associant la légende de Mulan au nudibranche, Dong explore ses recherches féministes en même temps que les notions d’hybridité et de relations binaires. Ce qui relie toutes ces œuvres, c’est l’utilisation par l’artiste des technologies pour faire état de la capacité du numérique à nous libérer des limites de l’espace physique, en nous permettant d’entrer en contact avec des espaces et des identités lointaines, même pour un moment fugace.
G7: Helena Martin Franco
DF: Le G7 héberge un espace à l'allure d’une chapelle consacré au projet d’Helena Martin Franco, qui s’intitule Absence à main levée/Freehand Absence/Auscencia a mano alzada. Cette installation a été initialement conçue lors d’une micro-résidence offerte à l’artiste alors que nous étions fermés au public en raison de la pandémie, durant l’hiver 2021. L’artiste a mis à profit sa résidence pour explorer les archives éducatives de la Fondation et proposer un projet qui relie ses propres intérêts aux objets et concepts rencontrés dans les archives. Elle a été particulièrement frappée par la façon dont les archives sont à la fois le contenant et le contenu lui-même – par l’accumulation dans le placard de notre espace éducatif de toutes sortes de boîtes, bacs, livres, verres et tasses qui, ou bien conservent des fragments de notre passé, ou bien restent vides en attendant d’être remplis à nouveau.
Son projet opère aussi un recoupement entre plusieurs événements survenus durant sa résidence, comme s’il s’agissait d’esprits fantômes existant à l’extérieur de la salle éducative et hantant son cadre : une vague de rénovictions à Montréal, y compris celle de l’artiste elle-même, ainsi que des reportages sur le taux croissant de féminicides au Québec et ailleurs.
La fin du processus de recherche de Martin Franco a donné lieu à une performance qui, après avoir été initialement diffusée en direct sur le site web de la Fondation, est réactivée ici dans une installation qui la présente sous deux angles de vue différents. On découvre aussi le dessin final montrant une zone placée sur le sol, qui délimitait ce que la caméra pouvait voir d’en haut et est entièrement recouverte de pastel et de fusain. L’artiste s’est placée au centre du cadre et a dessiné les contours de son corps. Chaque fois que le corps de l’artiste touchait les limites de la vidéo, une cloche sonnait, lui rappelant de revenir dans le cadre de la représentation.
Entrée - 465, rue Saint-Jean: Quentin VerCetty
CS: Bien que nous ayons fait le tour complet des salles, nous n’en avons pas tout à fait terminé avec l’exposition. Dans l’espace d’accueil du 465 Saint-Jean, une image de Quentin VerCetty nous invite à découvrir l’œuvre Missing Black Technofossils Here, un projet qui amène l’exposition au-delà des murs de la Fondation. Ce projet artistique parle du manque de représentation des personnes d’ascendance africaine dans la sphère publique en revisitant certains espaces publics et monuments de Montréal à travers une expérience de réalité augmentée. Il nous permet de redécouvrir des récits qui ont été exclus de l’histoire et de subvertir, décoloniser et insérer numériquement nos propres points de repère spéculatifs dans l’espace public, grâce à l’expérience de réalité augmentée créée par l’artiste. Ces points de repère peuvent ensuite être documentés et préservés à jamais sous une forme numérique, soit sur votre appareil (qui devient alors un technofossile en soi), soit sur Internet. À l’occasion de cette itération montréalaise, Missing Black Technofossils Here présentera six sites historiques et plusieurs propositions d’activités, notamment la prise de photos et de vidéos pour ajouter un Technofossile ancestral à un espace public choisi.
Ce projet s’inspire du mouvement afrofuturiste, qui utilise aussi bien la technologie, la spéculation, la métaphysique et, occasionnellement, la science-fiction, que les héritages de la diaspora africaine et du continent pour explorer la guérison et l’évolution d’un point de vue africain. VerCetty nomme ce concept de connexion entre le passé, le présent et l’avenir « Sankofa », et sa pratique est appelée « Sankofanologie ». L’afrofuturisme et la réalité augmentée soulignent le potentiel et le pouvoir du spéculatif comme catalyseur de changement et de transformation de la réalité et de l’expérience d’une personne. En tant que pratique de la Sankofanologie, la RA se connecte à l’Afrofuturisme en favorisant des expériences imaginatives partagées à travers une plateforme où le temps et l’espace sont altérés. Pour expérimenter cette œuvre finale, il suffit de suivre les instructions sur notre site web.
Conditions d’utilisation: Conclusion
Daniel: Par la présentation de ces œuvres, qui oscillent entre célébration et critique, nous espérons que l’exposition remettra en question nos notions bien ancrées de ce que sont les technologies, en soulignant à la fois les plaisirs et les difficultés liés à l’obligation de se médiatiser dans ces mondes hybrides et semi-virtuels. Puisque l’un des arguments de l’exposition est que rien de ce qui est technologique ne se fait jamais seul, nous aimerions prendre le temps d’exprimer notre gratitude à toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de cette exposition. À tous les artistes, nous adressons nos remerciements les plus profonds et les plus sincères pour leur confiance et pour leurs créations extraordinaires. Un tout grand merci à la merveilleuse équipe de professionnel·le·s dévoué·e·s qui ont uni leurs efforts pour faire de cette exposition une réalité, y compris l’équipe de la Fondation, nos collègues des autres entités de PHI, les technicien·ne·s, le conservateur et les fournisseurs.
CS: Un énorme merci à l’équipe de coordination de l’expérience de visite qui prend soin des visiteuses et visiteurs, ainsi que des œuvres de l’exposition, un vibrant merci à notre équipe éducative qui élargit et approfondit notre réflexion sur les œuvres d’art. Merci à notre fondatrice Phoebe Greenberg, et bien sûr, il y a vous, visiteuse ou visiteur. Merci de votre visite à la Fondation PHI. C’est vous qui nous complétez !
Nous vous remercions de votre écoute.