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Coline x Les Filles et le code3
Réunies au Centre PHI, de gauche a droite: Salma Zaghloul, Marie-Jade Lucier, Audrey Coulombe, Coline Delbaere et Elianne Rochefort. Photo: PHI.

Les femmes et les métiers de la technologie

  • Entrevue
  • PHI
Par  Louvia Lafrance

Coline Delbaere, productrice d'expériences immersives au centre multifonctionnel PHI, s’entretient avec quatre jeunes femmes inspirées et inspirantes. Ensemble, elles lèvent le voile sur les moyens d’encourager et d’inspirer la représentation des femmes dans le milieu technologique.

Mise en contexte

Le centre culturel et artistique PHI s’est associé au studio de développement de jeux vidéo mobiles Square Enix Montréal, partenaire éducatif de l’expérience L’INFINI, ainsi qu’à Concertation Montréal et son Mouvement montréalais Les Filles & le code, une initiative visant à encourager les femmes à s’intéresser aux carrières et formations en technologie.

Basée sur un désir commun de promouvoir l’art et les hautes technologies auprès des jeunes, cette collaboration vise à souligner l'importance de la parité des genres dans la conception des expériences technologiques.

Afin d'inspirer plus de femmes à joindre les rangs du secteur des technologies, Marie-Jade Lucier, Salma Zaghloul, Audrey Coulombe et Elianne Rochefort, quatre jeunes collaboratrices âgées de 18 et 25 ans identifiées par le Mouvement montréalais Les Filles & le code avec le soutien de Square Enix Montréal, se sont confiées sur le parcours des femmes en technologie et les différents enjeux qui s’y rattachent.

· · ·

PHI et Square Enix Montréal ont invité ces quatre jeunes femmes passionnées de l’art et des technologies à discuter avec sa productrice d'expériences immersives, Coline Delbaere.

Cette conversation a été transcrite et éditée par Louvia Lafrance pour des fins de clarté et de longueur. Lisez l'article entier ici.

Coline x Les filles et le code 2
De gauche à droite: Coline Delbaere, Marie-Jade Lucier, Elianne Rochefort et Salma Zaghloul. Photo: PHI.

Présentations

COLINE DELBAERE: Je suis diplômée en science politique. En raison de mes précédentes expériences au sein d’un service décentralisé d'ambassade, d’une compagnie de théâtre, d’une maison de production de disques et de tournages, je me considère comme une personne très polyvalente. Depuis 2017, je suis productrice d'expériences immersives et je travaille en collaboration avec des acteurs issus d’une multitude de disciplines artistiques. En 2018, j’ai été nommée membre titulaire de la commission Expériences Numériques du Centre National du Cinéma, en France. En 2019, j’ai rejoint l’équipe PHI dans le but de participer à l’essor de nouvelles formes de storytelling et j'œuvre habilement dans la production de projets interactifs complexes. J’aborde ces derniers avec une vision d’ensemble et je garde toujours en tête l’évolution des conditions d’exploitations de créations ainsi que la rencontre avec les publics.

AUDREY: J’ai étudié au collège en design de mode. C’est là que j’ai appris l’existence des vêtements intelligents. J’ai donc commencé à m'intéresser davantage au côté électronique, informatique et numérique. Je travaille actuellement chez Vestechpro, un centre de recherche et d'innovation en habillement. J’étudie également en Computation Arts, un programme offert à l’Université Concordia qui combine l’art et la technologie en général.

MARIE-JADE: Je suis étudiante en design de mode. J’ai un baccalauréat en chimie et j’ai également suivi des cours à l’UQAM en systèmes informatiques et électroniques. Je m’intéresse particulièrement aux vêtements connectés. Je suis fascinée par les différentes manières de combiner la mode, l’habillement et les technologies.

ELIANNE: Je suis étudiante au Collège de Bois-de-Boulogne. Je fais actuellement une technique en intégration multimédia. C’est un programme assez général qui touche un peu à tout dans le numérique : programmation, Web, jeux vidéo, graphisme, UX, etc. Je suis également membre du groupe Femmes en Tech. Ce dernier vise à encourager les femmes à s’impliquer dans l’univers numérique. Nous travaillons actuellement sur la création du site Web, pour diffuser les témoignages de professionnelles dans l’industrie. Je considère que c’est un très beau projet et que la mission est importante.


SALMA: Je suis étudiante en Sciences de la nature au Collège de Maisonneuve. Comme j’ai débuté la robotique à douze ans, j’ai également de l’expérience dans le milieu technologique. À la base, je travaillais davantage à développer mes compétences au niveau entrepreneurial, à faire des plans d’affaires, à présenter nos projets d’équipe en robotique, etc. Par la suite, je me suis surtout intéressée au côté technique. J’ai donc fait plus de mécanique, surtout au niveau de la modélisation tridimensionnelle. Je me suis ensuite tournée vers la programmation. Mon coup de cœur était Python. C’est de la programmation orientée objet (POO) un peu plus spécifique à l’intelligence artificielle.

La conversation

COLINE DELBAERE: Marie-Jade, connais-tu Audrey et les activités de l’entreprise pour laquelle elle travaille ?

MARIE-JADE: Oui. En fait, j’ai également travaillé deux ans chez Vestechpro. C’est là que j’ai rencontré Audrey. C’est également grâce à ce centre de recherche que j’ai découvert que c’était possible de mélanger la science, l’habillement et la mode.

COLINE DELBAERE: Salma, c’est intéressant de voir que tu es passée à travers toutes les couches en profondeur. As-tu travaillé sur un projet qui t’a particulièrement marqué jusqu’ici ?

SALMA: L’été de ma 4e secondaire, j’ai participé à un stage au Centre de Recherche Informatique de Montréal (CRIM), on essayait de permettre au robot de pouvoir détecter différentes composantes sur le terrain et de prendre des décisions par lui-même. Le but étant que notre programme Python détecte les différentes composantes et envoie de l’information au programme Java qui, lui, contrôle la motricité du robot.

COLINE DELBAERE: Du côté des vêtements connectés, est-ce que l’objectif est que ces derniers soient fonctionnels ou c’est plutôt dans l’objectif de vous en servir comme média artistique ?

AUDREY: Je suis ouverte à tout. Je préfère les projets qui sont plus artistiques. Cependant, avec mon travail, je suis amenée à travailler sur des projets qui sont plus pratiques et fonctionnels. J’aime faire les deux. Je considère que la conception de projets fonctionnels permet d’acquérir certaines connaissances qui peuvent être utiles pour l’élaboration de projets artistiques. Par exemple, les bandes respiratoires peuvent être intéressantes autant pour les projets artistiques que dans des vêtements qui permettent de récolter des données biométriques. C’est issu de la tendance de l’automesure connectée.

COLINE DELBAERE: J’imagine que les vêtements connectés de base permettent d’observer la chaleur du corps ?

AUDREY: Il y en a qui font ça, entre autres. Il y a beaucoup de dispositifs qui peuvent être adaptés au corps et observer la température, la respiration ou le rythme cardiaque, par exemple.

COLINE DELBAERE: Comment vous sentez-vous en tant que femme dans cet univers-là ? J’ai récemment lu un article qui m’a bien fait rire. Ce dernier expliquait que jusqu’aux années 70, tout le secteur de l’informatique était pratiquement réservé exclusivement aux femmes. Cela s’expliquait du fait que durant la Seconde Guerre mondiale, les hommes étaient au front et les femmes, dans les coulisses. Tous les premiers ordinateurs monolithiques, les codes balistiques et les codes ennemis étaient analysés par des femmes. Aujourd’hui, le milieu technologique est composé de 80 % d’hommes et de 20 % de femmes. À mes yeux, il n’y a rien qui puisse expliquer cela, mis à part la discrimination, ou simplement un désir manquant de s’impliquer.

SALMA: C’est drôle que tu dises ça. En 5e secondaire, je travaillais sur un projet de fin d’année dans le cadre du programme international. À la fin de l’année, il fallait être capable de répondre à un problème et trouver une solution. Comme je baignais dans l’univers de la robotique, des sciences et de la technologie, j’ai vite remarqué à quel point les femmes étaient sous-représentées en génie. J’ai donc fait quelques recherches et j’ai été agréablement surprise de découvrir que la première personne à avoir développé un langage informatique, c’était une femme britannique. Si je me souviens bien, c’était Ada Lovelace. Certaines théories concernant ce manque de diversité expliquent qu’il y aurait un manque de modèles concrets de réussite féminine dans le domaine des sciences et de l’ingénierie.

«J’ai vite remarqué à quel point les femmes étaient sous-représentées en génie.»

MARIE-JADE: Je crois qu’il manque définitivement de modèles féminins qui nous permettent de voir que l’informatique peut être un domaine intéressant. Je pense que la manière dont c’est représenté actuellement n’est pas nécessairement inspirante.

SALMA: Justement, le projet sur lequel je travaillais visait à créer des ateliers d’introduction à l'ingénierie et à la programmation. J’avais donc réservé les ordinateurs de l’école et créé de la publicité pour l’événement. Une quinzaine de personnes s’étaient présentées et ça m’avait vraiment étonnée. Afin de prouver la réussite de mon projet, j’ai ensuite dû collecter des données à la fin de l’atelier. J’ai alors constaté que 67 % des étudiantes qui s’étaient présentées étaient intéressées à poursuivre dans ce domaine.

COLINE DELBAERE: Une fois qu’une femme décide d’entrer dans ce monde-là, elle va naturellement s’entourer de plus de femmes. Lors de mon premier festival à Venise, je ne travaillais qu’avec des hommes, là où j'étais. Un de nos projets avait été sélectionné et parmi la sélection complète, il y avait deux jeunes femmes danoises. C’était leur projet de fin d’études et il s’est retrouvé dans un festival de catégorie A. Tout avait été très bien pensé, c’était un magnifique projet. Les utilisateurs devaient se placer dans un lit d'hôpital avec un casque de réalité virtuelle (VR) et interpréter le rôle d’un frère ou d’une sœur. Une représentation de la cognition incarnée était également effectuée et donc, une fois que tu portais le casque VR, tu pouvais voir des scènes qui te représentaient dans le lit et tu pouvais voir tes propres jambes. Comme rien n’était genré, c’était impossible de savoir si tu étais un homme ou une femme. En fonction de ce qui se passait dans le monde virtuel numérique, elles touchaient les gens à des moments précis pour rendre la réalité virtuelle optimale. Il y avait également certaines odeurs, que ce soit celle d’un verre de bière ou encore d’une bougie qui s’éteignait pour représenter la mort. Certaines choses étaient très évocatrices. Lorsqu’on regardait les différents crédits du projet, leur nom apparaissait quasiment à tous les postes. Elles avaient presque tout réalisé seules et elles ont d’ailleurs créé leur propre société qui se nomme MANND. Toutes leurs conférences sont incroyables et je trouve que ça apporte une certaine sensibilité à leurs créations. Tout ça pour dire que, pour moi qui travaillais dans une boîte composée majoritairement d’hommes, le fait de pouvoir voir leurs réalisations m’a vraiment impressionnée. J’ai réalisé l’importance d’avoir des rôles féminins dans notre milieu.

ELIANNE: Justement, Femmes en Tech recueille plusieurs témoignages de femmes issues de différents domaines dans le milieu technologique. Puisqu’il y a de nouvelles branches qui se créent constamment, on essaie de recueillir le plus de témoignages afin d’instruire ceux qui essaient de s’orienter pour un choix de programme ou de motiver certaines à rester dans le numérique en trouvant leur place.

COLINE DELBAERE: C’est une de tes initiatives, c’est ça ?

ELIANNE: Non, c’est un de mes professeurs du Collège de Bois-de-Boulogne qui a reçu un financement du ministère de l’Enseignement supérieur. Je travaille donc sur le projet avec quatre autres filles. Nous avons déjà fait quelques tournages avec des femmes du milieu. Le but est aussi d’aller dans les écoles et de montrer comment ça se passe aux jeunes et de leur ouvrir de nouvelles opportunités.

Mais toi, justement, comment le vis-tu ? Être une femme dans un milieu d’hommes.

COLINE DELBAERE: C’est une bonne question. Le Centre PHI est majoritairement féminin, donc ça va. Par contre, je le ressens beaucoup dans mes collaborations. Au quotidien, il m’arrive d’entendre des choses un peu étranges. Moi, je suis productrice et je suis souvent amenée à parler d’argent. J’ai déjà beaucoup voyagé avec un réalisateur lors de la réalisation d’un projet. Quand notre partenaire en France commençait à parler d'argent, il se tournait vers lui sans même s’en rendre compte, simplement parce que c’était un homme âgé de 50 ans et que je suis une jeune femme. Il faut donc reprendre la conversation et se dire que ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on ne peut pas aborder ces sujets.

Coline et Salma
De gauche à droite : Salma Zaghloul et Coline Delbaere. Photo: PHI.

«Ça me permet de voir combien de projets sont portés par des femmes. Il y a des femmes sur les projets, mais il y a relativement plus d’autrices et de réalisatrices que de codeuses, ou de rôles tech, par exemple.»

AUDREY: Est-ce que ça s’est amélioré durant la dernière décennie ? Est-ce que les femmes ont pris la place qui leur revenait ? Est-ce qu’on est sur la bonne voie ou est-ce qu’il y a encore énormément de travail à faire, selon toi ?

COLINE DELBAERE: Je trouve que c’est difficile d’avoir une vision globale. Le milieu artistique est souvent un milieu plus ouvert d’esprit. Ce sont des gens qui ont envie de raconter des histoires, de changer les choses en utilisant un médium ou l’autre. L’art est généralement un mode de communication. À partir de là, j’ai envie de répondre oui. Mais le domaine dans lequel je suis, moi, est biaisé. Mon rôle au Centre National du Cinéma et de l'Image Animée me permet toutefois d’avoir une vue d’ensemble. Je reçois tous les dossiers de XR, à la fois en écriture, en développement et en production, tous les deux mois. 

Ça me permet de voir combien de projets sont portés par des femmes. Il y a des femmes sur les projets, mais il y a relativement plus d’autrices et de réalisatrices que de codeuses, ou de rôles tech, par exemple. Il y a des choses qu’on ne voit pas. Sur le projet L’INFINI sur lequel on a travaillé, il y a des capsules qui varient de 45 secondes à une minute trente et elles ont toutes une thématique. Elles nous permettent de rencontrer des personnages et elles sont divisées en plusieurs chapitres en fonction de la narration et, à la base, ça avait fait l’objet d’un plus grand montage avec des épisodes de quinze minutes. Ça s’appelle des hotspot. Mon hotspot préféré dans ce projet-là est dans le dernier chapitre et parle de la première sortie extravéhiculaire de l'ISS 100 % féminin. C’était très beau. 

Il y a donc deux femmes astronautes dans le shot, qui nous raconte leur point de vue sur ce moment historique, qui n’était initialement pas prévu. En fin de compte, je les ai tous beaucoup regardés à force de tester le projet dans le cadre de la production, et ce hotspot-là, je me suis rendu compte qu’il était introduit par un voice-over d’homme, pendant 30 secondes. Ce qui avait du sens dans le cadre de l’épisode parce qu’il y avait une transition, mais pas dans le cadre d’un hotspot. Ça donnait l’impression qu’elles avaient besoin d’un porte-parole masculin et ça m’a dérangé. Il y a quand même des choses que les hommes ne voient pas tout de suite et on doit leur faire remarquer. En l'occurrence, le réalisateur n’a pas été difficile à convaincre du tout. Ça a pris deux secondes de débat pour qu’il accepte de faire les changements au montage.

MARIE-JADE: Concrètement, ce que tu fais au Centre PHI, c’est quoi en tant que productrice ?

COLINE DELBAERE: Le rôle d’une productrice varie selon les domaines. Dans mon cas, c’est de la recherche de financements, c’est beaucoup de compréhension d’un projet et de la manière de le rendre possible. Il faut ensuite encadrer la production, faire de la planification et gérer les équipes. À savoir, les fonds d’investissement qui s’intéressent à ce domaine sont souvent des fonds d’innovation. Il faut donc qu’on leur explique ce qu’il y a de nouveau dans le projet et qu’on leur explique si nous allons devoir le développer nous-mêmes. J’ai vraiment dû me plonger dans la technologie afin de mieux comprendre les projets sur lesquels je travaille.

SALMA: J’ai l’impression qu’en tant que productrice, tu as vraiment une vision globale des projets et de l’expérience immersive.

COLINE DELBAERE: C’est un peu ma force et ma contrainte. C’est-à-dire que oui, il y a une vision. Mais, du coup, une fois que tu es dans le projet, il faut aussi comprendre quelles sont toutes les étapes pour le mener à terme, tout en conservant la vision d’ensemble et la bonne cohésion des équipes. Je fais souvent cette métaphore, mais un projet, c’est comme un mariage de l’équipe. Parfois, on n’a pas pris la peine d’habiter ensemble avant de se marier. Il faut vraiment comprendre le rôle et les responsabilités de chacun et faire en sorte que la communication soit honnête. Chaque projet est vraiment différent.

Visions et perspectives

Aux yeux de Marie-Jade, le manque de modèles féminins inspirants et captivants dans les établissements collégiaux représente un obstacle à l’implication des jeunes étudiantes dans l’industrie des technologies de l’information. Afin de renverser les stéréotypes qui influencent souvent le choix de carrière des jeunes étudiantes, davantage d'expériences amusantes et stimulantes liées aux TI devraient être privilégiées dans le système scolaire québécois.

Pour pallier cette sous-représentation féminine, Elianne travaille actuellement sur la création d’un site Web qui recueille des témoignages fascinants de femmes issues de différentes branches dans le domaine des technologies. Cette initiative, elle l’espère, permettra aux jeunes de prendre une décision éclairée quant à l’orientation de leur carrière.

Audrey partage également ce désir d’augmenter la présence des jeunes femmes dans l’univers du numérique. C’est précisément en offrant plus de visibilité aux modèles féminins que la culture « masculine » dans le domaine des TI pourra être atténuée.

Ce remaniement des figures prédominantes dans le milieu ne pourrait être que bénéfique selon Salma, qui affirme que l’ajout de personnel féminin dans une équipe de travail permet d’augmenter la diversité des opinions et de favoriser l’expression de diverses perspectives.

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