RE: Et ça transpire vraiment. Surtout dans les choix de tissus, comme plusieurs des brocarts, et des tissus qui semblent inspirés de productions de l’Asie du Sud. J’aimerais en savoir un peu plus sur ces choix. Au début de la pandémie, on avait un sentiment d’échec ou de temps gaspillé, mais rapidement on a vu un changement s’opérer, on s’est mis à utiliser notre temps pour développer de nouvelles habiletés comme le jardinage ou la confection de masques… Personnellement, je voulais m’améliorer en couture, apprendre comment faire des patrons et trouver des tissus et m’instruire sur les vêtements traditionnels. Ça a changé ma façon d’aborder ton travail, je le regardais davantage du point de vue de l’exécution. Je me suis beaucoup intéressée aux origines des tissus que tu as peints et à la place des reliques dans ton œuvre.
RP: Les reliques?
RE: Quand j’ai vu ton travail à Toronto l’automne dernier, j’ai trouvé qu’il y avait une grande recherche dans les vêtements, quand je regardais les tenues ancestrales, et dans les motifs et la finesse des bijoux. Je trouvais qu’ils devenaient presque des reliques de leur époque, qui portent et transforment leur sens.
RP: Oui, c’est très intéressant de voir avec quoi nous venons ici: un grand respect pour la confection de ce que nous portons pour nous protéger. Le tissu, pour nous, est tellement plus qu’un vêtement fonctionnel. Je possède une quantité énorme, envahissante de vêtements. Cette accumulation est une forme de vénération du tissu, du textile, du motif, etc. Je pense que c’est propre aux personnes qui se sont beaucoup déplacées. À plusieurs égards, Traveller est un prolongement de moi-même: je voyage beaucoup depuis que je suis toute petite. Nous n’avons jamais pu rester longtemps au même endroit, pour toutes sortes de raisons. Parce qu’il fallait nous mettre en sécurité ou encore nous tirer d’un mauvais pas, ce genre de choses. J’ai donc développé un respect de ces choses qui protègent le corps, les vêtements, la manière dont on s’exprime avec sa lignée et la manière dont on se sent dans le monde à travers le vêtement.
RE: Oui, dans les tableaux, il émane des vêtements une impression de protection, mais aussi quelque chose de princier, de par l’ornementation, les couleurs et les motifs.
RP: Oui, j’invente plusieurs des motifs, ou bien ce sont des variations de choses dont je me souviens. Je regarde beaucoup les teintes des tissus. Je ne sais pas si tu es déjà allée dans ce magasin de tissus – ah oui, tu couds…
RE: Oui, mon prochain arrêt aujourd’hui, c’est au magasin de tissus.
RP: Chez Fabric Fabric?
RE: Non, je ne suis jamais allée à celui-là encore!
RP: C’est un énorme entrepôt! En tout cas, des magasins comme ça. Quand je voyage, j’essaie de voir ce qui se fait localement: les méthodes de fabrication de tissus employées et celles qui disparaissent. Au Sri Lanka, nous faisons beaucoup de tissage à la main, de tissu en rouleau, de cotons et de lins avec des motifs et des méthodes très précises. J’ai grandi en développant un respect de ce travail. Je crée donc mes propres motifs en fonction de toutes ces influences et recherches. Nous ne portons pas attention aux choses que nous mettons sur notre corps. Un vêtement qui a été très long à fabriquer… pour moi, c’est une sorte d’énergie sacrée qu’on met sur soi.
RE: Je suis d’accord avec toi. J’ai toujours été attirée par les tissus et les textures. Je suis la bizarroïde qui magasine ses vêtements avec les mains plutôt que les yeux.
RP: Voilà! Les vêtements servent à revêtir le corps. Ils vont être en contact constant avec le corps. Ce n’est pas une blague.
RE: J’ai toujours été ainsi. Et maintenant, parce que je commence ma maîtrise en beaux-arts, je me questionne: pourquoi cet intérêt soudain pour le tissu? Je m’intéresse donc à mon propre patrimoine culturel, parce que je ne l’ai jamais vraiment fait. Je m’en suis toujours dissociée pendant mon baccalauréat, parce que j’essayais tellement de ne pas être catégorisée comme une artiste diasporique.
RP: Je comprends, c’est ton droit le plus légitime!
RE: Je ne voulais pas être obligée de me limiter au patrimoine marocain. J’y plonge pour la première fois, j’étudie les tissus traditionnels d’Afrique du Nord et j’essaie de comprendre pourquoi ils sont comme ils sont. Par exemple, les tenues de mariage traditionnelles des Berbères comportent de nombreuses couches, en raison du statut économique associé au tissu, mais aussi pour protéger contre le sable et les particules, parce que c’est le désert.
RP: Complètement, c’est le désert.
RE: Ces nouvelles connaissances m’ont donc fait réfléchir à ton œuvre.
RP: Oui, c’est un bon mélange de vêtements de survie et de tenues de haute couture fantaisistes, le type de vêtements que j’ai vus dans mes voyages, et d’étoffes que j’ai eu l’honneur de toucher. Je réalise que c’est un privilège de pouvoir économiser et voyager pour voir toutes sortes de choses comme ça. J’ai tellement de chance de pouvoir le faire. Ça se reflète énormément dans mon travail, surtout quand j’ai l’occasion de parler d’un surhomme immigrant évolué.
RE: Cool! Je me tiens aussi au courant de ton travail récent sur Instagram, et j’aime vraiment la direction que tu prends en ce moment. Pour moi, c’est une suite logique de Traveller. Les deux œuvres que nous avons à la Fondation PHI montrent les personnages à l’intérieur. Maintenant, avec le papier marbré, on a l’impression d’être dehors et d’avoir une vue de cet état environnemental futuriste. On voit le vêtement en action, par contraste avec les poses plus statiques des œuvres que nous présentons.
RP: Oui, ils semblent plus figés, on leur a fait prendre la pose.