DF: Dans le texte de présentation de ta performance, tu évoques justement l’idée de la «colonialité» des institutions. Je pense que le terme rejoint ce que tu dis précédemment: un processus décolonial débute par la capacité de nommer.
HMF: Oui, je me suis rappelé de cette question que nous pose Walter D. Mignolo: «où et comment nous touche la colonialité?». Il faut la repérer, essayer de la voir et de la sentir, comme elle agit de façon différente dans chacun.e de nous selon notre place dans l’institution. Pour s’engager dans un processus décolonial, il faut en sentir le besoin, et pour le faire, il faut se rendre compte de la violence qu’entraîne certains exercices de pouvoir. Il y a deux questions interreliées: comment ressent-on cette violence, et comment en fait-on partie? La performance rappelle que ces questions sont intimement liées au corps.
DF: Peux-tu m’en dire plus sur ces liens invisibles que tu as observé, et que tu rends visible dans le vidéo-démarche et dans la performance?
HMF: C’était important que ma recherche s’ouvre. Au lieu de simplifier, je voulais respecter sa complexité et le besoin d’ajouter de nouvelles références. C’est une démarche apprise de l’exercice collectif du féminisme – l’importance de créer des liens et de visibiliser le travail de mes collègues. J’étais attentive aux événements qui se sont produits durant mon séjour dans la salle éducative. Alors, j’évoque la présence d’artistes qui réfléchissent à la reconnaissance et la réaffirmation de leurs corps en même temps que moi, comme arkadi lavoie-lachapelle et LaViolette (Se toucher, présentée à Montréal du 11 au 14 mars) et comme Johana Cervantes, Elsy Arango, Maira Bertel (De la Implosión a la Impronta, présentée en ligne du 12 mars au 12 avril). Aussi, je pense que ce moment de pandémie nous invite à utiliser la technologie pour briser l’obstacle de la frontière géographique et temporelle. Mon intervention transige par le Mexique quand je cite Sayak Valencia ou Francesca Gargallo, par la Colombie quand j’évoque María Teresa Hincapié et Las Meninas Emputás!, par Cali et New York quand je parle d’Extractivismo (2015) de María Evelia Marmolejo.
Une autre référence phare a été Sable International de Rosamond S. King, une performance présentée à Montréal en 2014 dans le cadre d’Encuentro, et qui s’est déroulée pas très loin de la Fondation. J’ai eu la chance de voir cette œuvre qui rendait hommage aux travailleur.e.s de la santé d’origine africaine et caribéenne. Pourquoi ce travail si pertinent, toujours d’actualité, n’a-t-il pas eu plus de visibilité? Pourquoi le travail à qui la performance rend hommage est souvent invisible lui aussi? Voici un bel exemple de questions à se poser.
Je voulais finalement approcher les objets de l’archive d’éducation avec le même soin que des œuvres exposées. Ce sont des objets précieux, des restes d’expériences éducatives. Je sentais aussi, dans ces objets, la trace des médiateurs.trices culturel.les qui avaient manipulé ces objets, ou les avaient pensés. Dans les objets, on voyait la trace des questions qu’ils et elles posaient, les réflexions lancées au public. J’avais envie d’associer ces questions à celles que posent les artistes dans leurs œuvres, de rendre visible ces liens communs. J’installe un dialogue entre ces pensées, comme nous faisons partie d’une même conversation.