Daniel Fiset: Quelles questions initiales ont guidé tes recherches dans notre archive éducative?
Emma Haraké: Je suis toujours fascinée par la façon dont les objets acquièrent une valeur, qu’elle soit archivistique, esthétique ou artistique... Cette réflexion est liée aux différences que je remarquais au sein de votre archive – certains objets semblaient dispendieux, technologiques, tandis que d’autres étaient banals, destinés à un usage plus direct, comme les éponges, les crayons, les crayons de couleur. Pourtant, ils étaient tous regroupés comme faisant partie d’une seule et même collection. Je me suis aussi intéressée à tous ces contenants, qui sont aussi des objets: boîtes de plastique ou de carton, étagères. Elles permettent de cacher des choses, de les dissimuler, tandis que d’autres sont visibles – elles montrent différentes couches de l’archive, d’une certaine manière. Enfin, j’ai également choisi de considérer le texte comme un objet en soi, qui permet d’autres formes d’accès au contenu des archives. Les archives étaient pleines de ces choses qui avaient été accumulées au fil des ans, à partir d’événements passés. C’était comme si, tout d’un coup, j’avais accès à tous ces passés. Puis, me retrouvant dans le présent, je me suis demandée: comment reconstruire le passé à partir de ce que je peux trouver dans les archives? Je voulais aborder la constitution d’une archive: que signifie cette collection d’objets si nous y avons accès, maintenant? Si les archives pouvaient parler, que diraient-elles? Comment les racontons-nous?
DF: Comment ces questions se sont-elles retrouvées dans le projet que tu as proposé pour Incandescences?
EH: J’ai commencé par de petits exercices de traçage, de modelage ou de copie d’objets – juste pour reconnaître que ce que je vais créer dans ce contexte sera nécessairement fragmentaire, partiel. Ces exercices sont devenus des interventions discrètes dans la salle d’éducation, où j’ai pu réfléchir à certaines des questions que je me posais. Une grande partie du travail a été influencée par le processus de recherche tout au long de la résidence. Par exemple, je marchais de chez moi à la Fondation tous les matins, en empruntant différents chemins. La marche est devenue un moyen de réfléchir aux textes que j’ai trouvés dans l’archive – je me suis surprise à en réciter certains pendant que je marchais vers la Fondation. J’ai créé un script pour un exercice d’écoute, invitant les gens à entrer en relation avec certains de ces textes. Je vois ce scénario comme une sorte de pièce de théâtre, qui tente de trouver la voix intérieure de quelque chose tout en interagissant avec d’autres voix. Cet exercice est étroitement lié à des questions plus larges que je me pose sur les archives – la manière dont elles articulent le passé, le présent et l’avenir, ou la manière dont elles mêlent le personnel et le collectif. Il établit un parallèle entre l’archive et la voix. Notre propre voix nous appartient. Elle est intime, personnelle, mais elle permet également une sorte de prise de parole publique, une agentivité lorsque nous l’utilisons dans certains contextes – tout comme l’archive.
DF: Comment as-tu choisi les textes à inclure dans ton projet?
EH: Je voulais absolument piquer l’intérêt du public, afin qu’il ait envie de trouver le matériel source pour poursuivre sa lecture – exception faite du dernier texte, qui ne fait qu’une phrase et qui a été inclus dans son intégralité. Cette phrase a vraiment résonné en moi et a influencé mon processus de recherche. Après avoir discuté avec toi, j’étais curieuse de connaître certains des projets sur lesquels tu avais travaillé, comme l’atelier Bâches Bleues Against Harm de Sheena Hoszko. Je me souviens que tu m’avais dit que l'atelier était situé –- c'est-à-dire qu’une partie de l'activité consistait à réfléchir à la situation géographique de la Fondation par rapport aux institutions carcérales du Québec. C’est quelque chose qui fait souvent partie de mon processus. Je commence un projet en situant où je suis par rapport à ce que je veux aborder, presque comme si je dessinais une constellation.
Il y avait aussi un désir d’explorer différentes formes, et de voir si nous pouvions effacer les distinctions entre un «texte historique» et un «dialogue». L’un des textes cite une entrevue qui faisait partie d’un cahier de lectures assemblé par l’équipe de l’Éducation, tandis que le texte de Dorothy Williams était extrait d’un livre, que je voulais lire depuis un certain temps et que j’ai trouvé par hasard dans l’archive. La section que j’ai extraite de ce livre parle d’un fait historique qui s’est produit à proximité de la Fondation, dans le Vieux-Port: l’exécution de Marie-Joseph Angélique en 1734. Lorsque nous avons demandé au Dr Williams la permission de citer le texte, elle a révélé qu’elle n’avait pas eu accès aux témoignages originaux d’Angélique. J’ai trouvé cela frappant. Au final, le projet englobait toutes ces couches de narration, qui s’imprègnent les unes des autres. Il permet de me demander: qu’est-ce qui est raconté et qu’est-ce qui est laissé de côté? Comment pouvons-nous écouter ces histoires?
Découvrez la proposition d’Emma Haraké pour Incandescences: une œuvre audio narrée par l’artiste qui vous invite à porter attention à quatre textes glanés dans l’archive éducative.