Quand on pense à la diaspora, on commence par la migration, peut-être plus précisément l’extraction, car la diaspora relève plutôt de l’involontaire, du mouvement sous la contrainte, de la séparation d’une collectivité et d’une extraction d’un contexte socioculturel; bref, la bifurcation. L’origine de la diaspora ne se situe donc pas dans un territoire d’origine, mais dans la bifurcation elle-même. Et d’elle, la spectralité survient; quelque chose est mort et (re)né en spectre qui habite la personne diasporique. Cet/te héritier/héritière se voit chargé/e d’un héritage codé; il/elle devient une sorte de crypte, de «cimetière pour les fantômes» [8] (McMullen, 49:00) pré-extraction, en plus que de s’être lui/elle-même.
Le travail de Rick Leong nous offre un bon exemple de cet héritage codé. Les peintures Gold Stream (2019) et Wild Willow (2019) présentées dans RELATIONS nous montrent des paysages canadiens aux lignes sinueuses sur des fonds brumeux et liquides, rendus dans les tons de l’heure bleue. Ces œuvres deviennent un «point de fusion de divers domaines (ou registres) du monde matériel» [9] (Nishida, p. 80) en incluant un héritage esthétique chinois — avec le monochrome bleu tiré de la céramique bleue-et-blanche chinoise — entremêlé au paysage canadien, ancré dans la tradition du Groupe des sept et la modalité de la peinture occidentale. Ici, cette pratique de peinture occidentale — et canadienne spécifiquement par le sujet et son traitement du paysage vide et sauvage, typique d’une conscience canadienne — est hantée par l’esthétique chinoise. «Ce qui est important à propos de la figure du spectre [diasporique] est qu’il ne peut être complètement présent: il n’a pas d’être en soi mais marque une relation à ce qui n’est plus.» [6] (Fisher, p. 19). Donc, l’héritage diasporique de Leong ne peut se manifester que par le présent, en relation avec le nouveau contexte; le bleu chinois ne paraît que dans le paysage canadien. L’œuvre est donc «tachée par le temps» [6] (Fisher, p. 19), le(s) passé(s) esthétique(s) chinois (et canadien). L’œuvre elle-même devient un corps diasporique, toujours constituée par son dédoublement; chinoise et canadienne.
Ce qui nous amène à cette position collective de la diaspora, ce qui est partagé, n’est pas un fantôme particulier mais l’état d’être hanté, d’être «intérieurement redoublé [...] en anticipation et mémoire de soi» [10](Ramond, p. 60), d’avoir des fantômes qui nous «ventriloquent» [8] (McMullen, 16:14).
Un spectre se mêle aux peintures de Leong, qui œuvrent à ce dédoublement et par là, à une réinvention de son/ses héritage(s). On peut seulement réinventer l’héritage diasporique, parce qu’après tout, «l’héritage n’est jamais un donné, c’est toujours une tâche» [3] (Derrida, p. 94).