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Fondation

Antenne

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Atelier de Lee Bae. Avec l’aimable permission de l’artiste et de la galerie Perrotin

Céder à la sensation: le travail et la philosophie de Lee Bae

  • Entrevue
  • Fondation PHI
Par  Alice Oster
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Lee Bae, Issu du feu, 2018. Charbon de bois et élastiques, 130 x 90 x 90 cm. Avec l’aimable permission de l’artiste et Perrotin.

Du 24 février au 20 juin 2021, la Fondation PHI présentera l’exposition UNION qui met de l’avant le travail de Lee Bae. Artiste coréen né en 1956 et travaillant à Paris depuis 1990, Lee Bae est fasciné, au sein de sa pratique, par la puissance du charbon et la couleur noire. Mais le lien qui unit le créateur et son matériau de prédilection va bien au-delà d’un simple jeu de contrastes entre ombre et clarté. C’est à la fois une réflexion sur le lien entre le corps et l’esprit et une expérimentation avec la force du mouvement et de la composition. C’est également une célébration des éléments naturels, associée à un retour aux traditions sud-coréennes qui lui sont chères et ont ressurgi de sa mémoire après qu’il s’est retrouvé loin de son pays natal. Son exploration avec le charbon prend des formes diverses, qui vont de la sculpture monumentale au mélange à base d’acrylique sur une toile classique. L’usage multiple que fait Lee Bae du charbon souligne le caractère paradoxalement éphémère et durable de ce matériau qui a le pouvoir de renaître de ses cendres à l’infini.

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Lee Bae, Issu du feu, 2018. Charbon de bois et élastiques, 130 x 90 x 90 cm. Avec l’aimable permission de l’artiste et Perrotin.

En découvrant les œuvres de Lee Bae, j’ai instantanément été impressionnée par la capacité de chacune de ses séries à transmettre un message singulier et une énergie différente malgré l’emploi invariable du charbon comme matériau principal. Si certaines nous font repenser notre rapport à l’espace et aux éléments naturels qui le composent, d’autres m’ont paru être porteuses de sérénité, tout en conservant une agitation et un balancement qui se ressentent dans les mouvements contrôlés du matériau et de l’expérimentation sur la toile. En proposant une sélection hétéroclite des œuvres de Lee Bae, UNION reflète la pluralité de son corpus et nous pousse à réfléchir à la façon dont celles-ci interagissent. J’ai eu la chance de pouvoir discuter de ces thèmes avec Cheryl Sim, commissaire de l’exposition, rouage central de la Fondation PHI depuis 2007 et artiste vidéaste. Elle nous parle de son propre engagement avec le travail et la philosophie de Lee Bae, et nous offre une introduction à l’exposition UNION.

Alice Oster: Bonjour Cheryl! Tout d’abord, merci beaucoup d’avoir accepté de nous présenter la prochaine exposition de la Fondation. Pourrais-tu commencer par nous expliquer quelle fut ta réflexion derrière le nom de l’exposition: UNION?

Cheryl Sim: Union signifie «emboîtement» ou «accouplement», et c’est d’ailleurs aussi le sens français du mot «yoga», en référence au lien entre le corps énergétique et l’énergie suprême de l’univers. Lee Bae fait de cette action une part importante de sa pratique dans la vie de tous les jours, renforçant l’idée d’union de tellement de façons : entre sa mémoire corporelle et sa mémoire culturelle, entre le matériel et le conceptuel, le geste et le temps, la terre et le ciel, la vie et la mort… Le degré d’intégration de son travail est vraiment très poussé.

AO: Y a-t-il des thèmes ou des concepts de la pratique de Lee Bae qui résonnent particulièrement chez toi, comme commissaire d’exposition, mais aussi artiste?

CS: Je suis naturellement attirée par les travaux qui explorent les idées d’impermanence, de présence et de compréhension des cycles. Je pense que cela parle davantage à ma propre pratique spirituelle qu’à ma pratique artistique. Je m’intéresse à l’énergie et à la capacité de l’esprit de s’ancrer et d’être attentif comme réelle façon de vivre sa vie. Je respecte vraiment l’engagement de Lee Bae à faire de l’art et de la vie deux éléments interchangeables, et c’est là un principe qui guide également mon travail à la Fondation, me semble-t-il.

AO: Lee Bae explore et met en avant les traditions culturelles de son pays natal bien qu’il travaille et vive à Paris depuis de nombreuses années. Penses-tu que ce parcours peut faire écho à l’exposition RELATIONS: la diaspora et la peinture qui fut présentée à la Fondation PHI l’automne 2020 dernier?

CS: Effectivement, je pense que sa production fait écho à cette idée de travailler dans et à travers une expérience diasporique. C’est le déplacement qui a fait remonter à la surface de sa mémoire certaines essences, traces ou empreintes et certains parfums de sa mémoire. Il parle de la façon dont les sensations du monde extérieur pénètrent le corps et du fait qu’il a pu les reconnaître à travers cette expérience de distanciation de son entourage familier. C’est seulement à travers cette distance critique qu’il été capable de se voir lui-même plus objectivement qu’avant et de s’investir corps et âme, de canaliser son énergie et même de s’abandonner à une sorte de mémoire profonde qui a surgi et l’a mené au charbon.

AO: Parmi les œuvres exposées, peux-tu nous en présenter une qui est particulièrement représentative de l’exposition et du corpus, selon toi?

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Vue d’exposition, Lee Bae, Issu du feu, 2018. Avec l’aimable permission de l’artiste et de la galerie Perrotin. Photo: Guillaume Ziccarelli

CS: L’exploration de la profondeur conceptuelle et de la multitude d’applications formelles du charbon par Lee Bae rend le choix difficile. Mais pour cette exposition, j’ai décidé d’utiliser son importante série Issu du feu comme une sorte d’outil pour nous guider à travers l’exposition, plaçant les sculptures et les peintures tout le long du parcours comme autant d’indicateurs, de marqueurs ou de totems de continuité, et nous ramenant à la conscience, à la présence et au calme.

AO: C’est la toute première fois que Lee Bae est exposé non seulement au Québec, mais également au Canada. Comment penses-tu que son travail résonne dans le contexte montréalais?

CS: En ce moment, c’est très difficile de ne pas se sentir en relation avec le monde entier à cause de la pandémie. J’ai découvert son travail en février 2020, donc avant le premier confinement, mais j’ai tout de suite été bouleversée par la présence de ses œuvres. Elle abrite une énergie simultanément « active » et paisible. La vie moderne est tellement perturbée; des voix nombreuses se font constamment entendre dans nos esprits. Entrer en contact avec le travail de Lee Bae offre un moment de contemplation qui, me semble-t-il, nous fait du bien.

AO: Il y a un aspect très immersif à l’exposition, ce qui est intéressant, car la relation entre l’espace et le spectateur semble être cruciale dans la pratique de Lee Bae. Comment l’exposition explore-t-elle cet engagement entre le spectateur et les œuvres, et comment rend-elle cette immersion possible?

CS: Il est possible de voir la totalité de l’exposition comme une installation immersive, où chaque pièce nous introduit à un aspect particulier de la pratique de Lee Bae et sollicite notre pleine et entière participation. On commence avec le matériau avant d’ajouter la forme, les concepts d’impermanence, puis le geste et le temps, tout en revenant au matériau au fil de la transition de salle en salle. Une vive prise conscience du corps en relation avec l’expérience et les sensations que le monde peut susciter se crée ainsi petit à petit. Il faut simplement céder à la sensation. C’est dans cette idée que je vois une connexion avec la phénoménologie, et plus particulièrement les idées de Merleau-Ponty. Celui-ci parle d’une «co-pénétration» existant entre soi et le monde autour, ce qui est tout à fait cohérent avec la façon, pour Lee Bae, dont le monde extérieur se loge dans le corps. En exploitant cette énergie qui émane du charbon, il produit un travail en phase avec les harmonies et les dissonances des cycles qui se répercutent sur le corps, sa vie et sa mort.

AO: C’est vrai que l’une des particularités des œuvres de Lee Bae est qu’avec cette énergie transmise par le charbon seul, il parvient à créer des œuvres variées et, du même coup, il rend hommage aux possibilités infinies de ce matériau et à sa capacité à se réinventer à travers la destruction cyclique. Comment est-ce que cette variété du matériau est reflétée au fil de l’exposition?

CS: Les peintures et sculptures dans Issu du feu sont une excellente illustration de deux aspects fondamentaux de l’engagement de Lee Bae avec le charbon. Elles forment aussi un bon point de départ pour comprendre le «travail» du matériau par l’œil et la main en peinture, mais aussi en sculpture; l’émergence du travail dans les éléments naturels, si j’ose dire, que sont le feu et le temps. De là, nous découvrons un art qui montre l’exploration approfondie de l’artiste quant à ce que le charbon peut «accomplir» à travers la manipulation de la forme, à travers la représentation, comme une encre à base de suie ou une poudre combinée à l’acrylique, et, enfin, à travers la réunion de ces manifestations multiples dans une installation à grande échelle où les œuvres communiquent entre elles et avec nous. Lee Bae nous montre que les seules limites aux possibilités de cette matière résident dans son propre questionnement.

Plateforme

Cet article a été rédigé dans le cadre de Plateforme. Plateforme est une initiative créée et menée conjointement par les équipes de l’éducation, du commissariat et de l’expérience du·de la visiteur·euse de la Fondation PHI. Par diverses activités de recherche, de création et de médiation, Plateforme favorise l’échange et la reconnaissance des différentes expertises des membres de l’équipe de l’expérience du·de la visiteur·euse, qui sont invité·e·s à explorer leurs propres voie/x et intérêts.

Autrice: Alice Oster

Alice Oster est étudiante en philosophie et en histoire de l’art à l’Université McGill. Elle s’intéresse particulièrement aux théories queer et féministes en philosophie, en histoire de l’art et en sociologie. Elle est aussi rédactrice en chef du magazine Yiara, consacré à l’art et à l’histoire de l’art féministe, et de la revue montréalaise Graphite Publications. En outre, Alice publie dans le magazine Femmes d’Art, un média célébrant les femmes dans le monde de l’art.

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