CS: L’exploration de la profondeur conceptuelle et de la multitude d’applications formelles du charbon par Lee Bae rend le choix difficile. Mais pour cette exposition, j’ai décidé d’utiliser son importante série Issu du feu comme une sorte d’outil pour nous guider à travers l’exposition, plaçant les sculptures et les peintures tout le long du parcours comme autant d’indicateurs, de marqueurs ou de totems de continuité, et nous ramenant à la conscience, à la présence et au calme.
AO: C’est la toute première fois que Lee Bae est exposé non seulement au Québec, mais également au Canada. Comment penses-tu que son travail résonne dans le contexte montréalais?
CS: En ce moment, c’est très difficile de ne pas se sentir en relation avec le monde entier à cause de la pandémie. J’ai découvert son travail en février 2020, donc avant le premier confinement, mais j’ai tout de suite été bouleversée par la présence de ses œuvres. Elle abrite une énergie simultanément « active » et paisible. La vie moderne est tellement perturbée; des voix nombreuses se font constamment entendre dans nos esprits. Entrer en contact avec le travail de Lee Bae offre un moment de contemplation qui, me semble-t-il, nous fait du bien.
AO: Il y a un aspect très immersif à l’exposition, ce qui est intéressant, car la relation entre l’espace et le spectateur semble être cruciale dans la pratique de Lee Bae. Comment l’exposition explore-t-elle cet engagement entre le spectateur et les œuvres, et comment rend-elle cette immersion possible?
CS: Il est possible de voir la totalité de l’exposition comme une installation immersive, où chaque pièce nous introduit à un aspect particulier de la pratique de Lee Bae et sollicite notre pleine et entière participation. On commence avec le matériau avant d’ajouter la forme, les concepts d’impermanence, puis le geste et le temps, tout en revenant au matériau au fil de la transition de salle en salle. Une vive prise conscience du corps en relation avec l’expérience et les sensations que le monde peut susciter se crée ainsi petit à petit. Il faut simplement céder à la sensation. C’est dans cette idée que je vois une connexion avec la phénoménologie, et plus particulièrement les idées de Merleau-Ponty. Celui-ci parle d’une «co-pénétration» existant entre soi et le monde autour, ce qui est tout à fait cohérent avec la façon, pour Lee Bae, dont le monde extérieur se loge dans le corps. En exploitant cette énergie qui émane du charbon, il produit un travail en phase avec les harmonies et les dissonances des cycles qui se répercutent sur le corps, sa vie et sa mort.
AO: C’est vrai que l’une des particularités des œuvres de Lee Bae est qu’avec cette énergie transmise par le charbon seul, il parvient à créer des œuvres variées et, du même coup, il rend hommage aux possibilités infinies de ce matériau et à sa capacité à se réinventer à travers la destruction cyclique. Comment est-ce que cette variété du matériau est reflétée au fil de l’exposition?
CS: Les peintures et sculptures dans Issu du feu sont une excellente illustration de deux aspects fondamentaux de l’engagement de Lee Bae avec le charbon. Elles forment aussi un bon point de départ pour comprendre le «travail» du matériau par l’œil et la main en peinture, mais aussi en sculpture; l’émergence du travail dans les éléments naturels, si j’ose dire, que sont le feu et le temps. De là, nous découvrons un art qui montre l’exploration approfondie de l’artiste quant à ce que le charbon peut «accomplir» à travers la manipulation de la forme, à travers la représentation, comme une encre à base de suie ou une poudre combinée à l’acrylique, et, enfin, à travers la réunion de ces manifestations multiples dans une installation à grande échelle où les œuvres communiquent entre elles et avec nous. Lee Bae nous montre que les seules limites aux possibilités de cette matière résident dans son propre questionnement.